Cette année, le congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) s’est tenu à Rimouski du 25 au 29 mai. Je reviendrai ici sur mes interventions dans les deux journées auxquelles j’ai participé. Au programme : les enjeux de la recherche communautaire dans le domaine du VIH (C624) et les réformes des systèmes de santé (C409)!
Les pieds dans l’eau (ou presque)
Avant toute chose, un grand bravo aux organisateurs/trices du congrès à Rimouski ! Les conditions étaient idéales pour le congrès. Et le Bas-St Laurent, la région de Rimouski est magnifique.
Le lundi 25, le colloque « La recherche communautaire et la lutte contre le VIH : contributions, enjeux et perspectives d’avenir » était coorganisé par Joanne Otis de l’UQAM, Aurélie Hot de la COCQ-sida et Jean-François Babin du MAINS Bas St Laurent, un organisme communautaire local. Ce colloque s’inscrivait dans la continuité des réflexions autour de la recherche communautaire francophone sur le VIH. Mais c’était aussi l’occasion d’annoncer la publication prochaine d’un ouvrage sur le sujet. Pour plus de détail sur les différentes interventions de la journée, et les débats, allez voir le mot-clic #AcfasC624 sur Twitter ou cette page sur le site du Portail VIH/sida !
Savoir, pouvoir et VIH
Dans mon intervention, je me suis attaché à discuter des évolutions de la recherche communautaire à l’heure de la médicalisation de la prévention du VIH. L’hypothèse étant que la médicalisation s’accompagne d’un renforcement de certaines formes de savoir (légitimes, quantifiées, publiées) au détriment d’autres (assumant leur subjectivité, expérientielles, nourries d’indignation).
Premier élément de l’intervention, les mobilisations politiques pour/par le savoir sont constitutives de la lutte contre le VIH. Qu’on pense aux savoirs profanes qui ont posés les bases des premiers discours de prévention ; à la contre-expertise des patients dans les essais thérapeutiques ; et enfin, plus récemment, à la recherche communautaire.
Cependant, les évolutions récentes de la prévention du VIH sont porteuses de nouveaux enjeux d’expertise. D’abord parce qu’en se médicalisant, les recommandations se complexifient. Mais aussi parce que la prévention (et le risque) reste une question morale très clivante. D’où la nécessité de processus d’objectivation, notamment par la recherche.
L’activisme par les preuves
L’activisme sida n’a bien entendu pas le monopole des mobilisations autour du savoir en santé. Rabeharisoa et ses collègues ont mis au jour des formes « d’activisme par les preuves » autour d’autres pathologies (Alzheimer, maladies rares, notamment). Ces formes d’activisme caractérisent ainsi les « démocraties techniques ».
Pour revenir au VIH, le développement de la recherche communautaire pose cependant des défis nouveaux. On peut ainsi se demander dans quelle mesure ces approches ne participent pas à renouveler/renforcer des hiérarchies du savoir. Comment s’assurer, par exemple, que la recherche communautaire, et les rétributions (symboliques et concrètent) qui y sont associées, ne soient monopolisées par les mêmes ?
D’autre part, la professionnalisation progressive de la recherche communautaire (avec l’embauche d’agents de recherche dans certains organismes) participe pleinement des mécanismes d’institutionnalisation du monde communautaire. Quels garde-fous peut-on se donner pour contrecarrer ces logiques ?
Pour finir, il apparait assez évident que la recherche a des effets directs et visibles sur l’action communautaire ; mais l’inverse est beaucoup moins vrai… La recherche académique demeure un monde dans lequel les logiques individualistes et concurrentiels ont valeur de loi. Comment peut-on créer des alliances productives entre chercheurs et acteurs communautaires dans ce contexte ? Et pourrait-on imaginer, à partir de là, un autre fonctionnement du monde académique, plus participatif et plus égalitaire ? Des questions qui restent ouvertes…
La journée s’est agréablement terminée autour d’un 5 à 7 dans les locaux du MAINS Bas-St Laurent : merci aux militants pour leur accueil chaleureux !
Austérité et lutte contre le VIH
Le lendemain, mardi 26, j’intervenais aux côtés de Pierre-Henri Minot, le directeur du Portail VIH/sida du Québec, dans le colloque organisé par le réseau Québec, sciences sociales et santé. Ce colloque était intitulé « Les réformes des systèmes de santé entre discours, preuves et pratiques : approches multidisciplinaires et empiriques ». Notre intervention conjointe portait quant à elle sur les effets des politiques d’austérité sur la lutte contre le VIH. Il est là aussi possible de suivre le fil des discussions sur #AcfasC409 !
La journée a été passionnante à plusieurs titres. D’abord, il s’agissait d’un colloque multidisciplinaire, mêlant des approches sociologiques, historiques, anthropologiques, de santé publique, mais aussi des points de vue des acteurs de terrain. Il s’agissait non seulement de mettre en perspective les réformes actuelles au Québec, mais aussi de tracer des pistes alternatives et, pourquoi pas, de rêver un peu à un système de santé plus solidaire.
Regards critiques
Avec Pierre-Henri Minot, nous avions fait le choix d’une intervention à deux voix (communautaire/recherche), centrée sur les enjeux spécifiques du VIH. L’occasion de rappeler que les progrès dans le domaine biomédical ces dernières décennies ne sont pas dissociables de la mobilisation communautaire et des avancées sociales et politiques. Mais aussi de souligner que les acquis sont fragiles : les discriminations, le moralisme et les mécanismes d’exclusion n’ont pas disparu, et continuent souvent à guider les politiques publiques en matière de VIH.
Pour nous, le contexte d’austérité fait peser de lourde menace pour la santé des plus précaires, comme le prouve la situation de l’épidémie en Grèce. Bien entendu, le Québec n’est pas la Grèce, mais les conséquences de moyen terme des coupures budgétaires en santé publique n’en sont pas moins inquiétantes.
Il nous a aussi paru important de rappeler que les réformes actuelles ne sont qu’une des étapes d’un processus de plus long terme de déstructuration des systèmes de santé dans les pays industrialisés. Autrement dit, si l’opposition à la loi 10 (au Québec) est totalement justifiée, il faut aussi remettre en question la manière dont les organismes et les programmes ont été affectés par les réformes précédentes : le financement par projet, ou la part de plus en plus importante faite au travail évaluatif et administratif au détriment des actions, notamment. C’est une forme larvée et progressive de neutralisation de la dimension politique de la lutte contre le sida qui est à l’œuvre, ici comme ailleurs dans le monde.
La table-ronde de fin de colloque a été l’occasion d’un débat passionnant, qui nous a laissé le goût d’une suite à cette journée ! Merci à Pierre-Marie David et Elhadji MBaye pour l’organisation.