Les 28 et 29 octobre dernier à Montréal près de 60 personnes ont participé à la première rencontre québécoise de recherche communautaire sur le VIH/sida. Le Québec représente souvent un exemple et une inspiration dans ce domaine, et ces journées ont été l’occasion de faire le bilan de l’expérience accumulée durant près de deux décennies de collaborations entre chercheurs et monde communautaire !

L’initiative était organisée conjointement par la Coalition des Organismes Communautaires Québécois de lutte contre le Sida (COCQ-Sida), la Chaire de recherche en éducation à la santé de l’UQÀM et le Centre collaboratif de Recherche Communautaire des Instituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC). L’objectif de ces journées ? Échanger, partager et contribuer à établir une programmation de recherche communautaire pour les années à venir.

En début de matinée, un tour d’horizon de différentes recherches en cours au Québec a permis de mesurer le dynamisme et la diversité des travaux menés ! Pour n’en citer que quelques uns : le projet SPOT (dépistage rapide auprès des hommes gais à Montréal), le projet CHIWOS (sur la santé sexuelle des femmes vivant avec le VIH), ou « Chez nous c’est chez toi », une étude exploratoire sur l’accès au logement pour les personnes séropositives.

Recherche participative et enjeux politiques

Dans un second temps, Angèle Bilodeau, chercheure à l’Université de Montréal, a présenté une conférence sur la responsabilités des acteurs impliqués dans les recherches interventionnelles et collaboratives, qui reprenait en partie l’article qu’elle a cosigné dans Construire l’espace socio-sanitaire. Le point de vue d’une chercheure qui mène des recherches à l’extérieur du monde du VIH était doublement éclairant :

  • sur les spécificités de la recherche communautaire (RC) sur le sida  : un domaine en pointe, dans lequel l’implication des communautés et de leurs représentants n’est pas un vain mot. Cette structuration, sur la durée, n’est pas si courant sur d’autres questions de santé ;
  • mais aussi sur la place des recherches participatives dans l’espace plus global de la recherche. Pour elle, l’un des atouts de ces processus est qu’ils permettent de mener des recherches plus pertinentes, qui engagent des processus réflexifs inédits de la part des différents acteurs impliqués… mais qui posent aussi des questions en terme d’instrumentalisation de la recherches/des différents acteurs impliqués.

J’ai également trouvé très intéressantes ses réflexions sur les « acteurs intermédiaires » : ces traducteurs situés entre deux mondes, et qui du fait de leur parcours ou de leurs savoirs-faire, jouent une rôle clé pour la mise en œuvre de recherches réellement participatives. Je suis cependant resté sur ma faim quant à la discussion des dimensions critiques et politiques de la RC. Comme si, finalement, l’objectif de faire des recherches plus pertinentes se suffisait à lui-même, laissant de côté la transformation sociale comme enjeu. Une dépolitisation (relative), signe d’un processus de normalisation et d’institutionnalisation en marche pour la RC ?

La discussion qui a suivie a permis de soulever des questions importantes. Les multiples casquettes des un-e-s et des autres rendent poreuse la frontière entre les mondes académiques et communautaires : plutôt que de parler d’acteurs intermédiaires, ne faudrait-il pas envisager les circulations des acteurs ? D’autre part, n’y a-t-il pas une sur-utilisation de la recherche participative dans le domaine de la santé et du VIH ? N’y aurait-il pas, parfois, la possibilité d’agir autrement, par exemple par la mobilisation des premiers concernés ou le plaidoyer ?

Lundi soir, lors d’un 5 à 7, nous avons pu découvrir le « Porte-voix », issu du projet de recherche VIHsibilité. Un outil pour favoriser la prise de parole des personnes séropositives, dont je vous reparlerai prochainement !

Retour sur expériences

Le lendemain matin était consacré à une table-ronde donnant la parole à différents responsables d’organismes communautaires québécois. Une occasion de revenir sur les réussites et les limites de leur implication dans la RC.

Thérèse Richer, la directrice de MIELS-Québec, a notamment mis en discussion des questions importantes. La RC est l’occasion pour les organismes de se confronter à la théorie et aux théorisations… mais on oublie souvent qu’elle est pour les chercheur-e-s « académiques » une confrontation avec le terrain. Et ce n’est pas toujours simple à gérer émotionnellement, car pas toujours bien anticipé ! Plus généralement, elle a mis l’accent sur certaines des difficultés rencontrées, comme la fragilité des partenariats avec les universités, surtout lorsqu’ils reposent d’abord sur des individualités et non sur un engagement plus structurel. Elle a aussi souligné son ambivalence face à certaines sollicitations. Elle répond souvent positivement, non parce qu’elle y voit systématiquement un intérêt majeur pour son organisme, mais parce qu’elle sait que la participation à une recherche est un facteur d’empowerment et de meilleur estime de soi pour les personnes qui s’y impliquent. Un constat qui pose question !

Mario Gagnon, de l’organisme Point de repère à Québec a lui aussi mis en avant des expériences contrastées dans les processus de RC. Dans sa structure, la recherche a permis de faire émerger de nouvelles actions, dont certaines se sont autonomisées comme le projet LUNE (pour l’hébergement des travailleuses du sexe). Mais il s’interroge sur la nécessité « d’en passer » par la recherche : les organismes n’ont-ils pas accumulé suffisamment d’expériences et de connaissances pour développer des actions innovantes sans les chercheurs ?

Enfin, Robert Rousseau, directeur de RÉZO a conclu la table-ronde en revenant sur l’expérience de son organisme en RC. RÉZO est sans doute l’une des rares structure au Québec a avoir fait le choix d’attribuer un poste salarié en « recherche et développement » et à s’être dotée d’un « comité recherche » ad hoc. L’implication avec la recherche s’est faite progressivement, de premières initiatives d’évaluation, dans les années 1990, à une participation régulière en tant que co-chercheur dans des projets scientifiques (SPOT, IPERGAY, etc.). Pour lui, la recherche est aussi une opportunité de faire valoir les actions de l’organisme auprès des bailleurs. Mais il a aussi insisté sur la difficulté de construire une « culture de recherche » au sein de structures marquées par un renouvellement fréquent du personnel et des bénévoles.

Dans le débat qui a suivi cette table-ronde, Joanne Otis, de l’UQÀM, a soulevé plusieurs enjeux clés. Elle a d’abord indiqué qu’une des questions à se poser systématiquement pour les organismes serait : « est-ce que les données vont nous donner du pouvoir ? »… une manière de dire que ce n’est pas toujours le cas. Elle a souligné d’autres éléments critiques. Selon elle, l’institutionnalisation progressive de la RC a des effets préoccupants en terme de représentation des communautés : les organismes sont-ils toujours les plus à même de jouer ce rôle ? Les questions de recherche ne devraient-elles pas émerger plus directement du terrain ? Et comment s’en donner les moyens ? Dans ce cadre, les réponses doivent être co-construites entre les chercheur-e-s et les communautés… encore faut-il que la relève soit là, et c’est loin d’être le cas dans le monde académique.

De mon point de vue, plusieurs éléments ressortent de cette table-ronde :

  • l’instrumentalisation ne va (heureusement) pas dans un seul sens ! C’est aussi le signe de la maturité des acteurs communautaires dans ce domaine. Ce que démontrent les responsables des structures, c’est qu’ils et elles ont bien perçu leur intérêt dans ces processus, vis-à-vis des bailleurs, notamment. De ce fait, la RC donne du pouvoir aux acteurs communautaires… même si cela ne garantit pas des démarches de recherche émancipatrices.
  • Malgré son dynamisme, la RC au Québec est construite sur des bases fragiles : à la difficulté d’établir une culture de recherche dans les organismes répond la précarité croissante des carrières universitaires… une précarité qui n’incite pas à « prendre des risques » en s’engageant dans des processus de recherche longs et peu payants du point de vue académique. Il reste du travail de conviction à faire dans le milieu universitaire !
  • Le temps est sans doute venu de s’interroger sur la place croissante de la recherche dans l’horizon politique (et budgétaire) de certains organismes de lutte contre le sida. Perçue comme un gage de crédibilité par les bailleurs, la RC est parfois devenue une solution « miracle » pour répondre aux problématiques émergentes… Une solution qui ferme alors parfois d’autres portes, plus militantes, telles la mobilisation et le plaidoyer. Dans ce cadre, les chercheur-e-s ont aussi un rôle politique à jouer : avant de se lancer dans une recherche, a-t-on exploré les différentes options possibles pour changer les choses ?

Le fait que cette rencontre autour de la recherche communautaire soit une première au Québec traduit à la fois le besoin d’échanger sur l’expérience accumulée, mais aussi la structuration de plus en plus forte de la RC. La volonté de travailler collectivement sur une programmation de recherche en est l’illustration positive. Restons vigilants, cependant, à ne pas éteindre la flamme en voulant trop la domestiquer !

Des pistes pour l’avenir

En conclusion de ces deux journées, plusieurs pistes ont été tracées :

  • il serait nécessaire de se donner des balises historiques sur la recherche communautaire au Québec. Un beau sujet de recherche… qui permettrait de réaliser le chemin parcouru !
  • Une synthèse va être réalisée par la COCQ-sida afin d’alimenter la programmation de recherche pour les années à venir.

Ces deux journées ont ouvert un espace d’échange et de ressourcement important. L’occasion aussi de se rappeler l’un des objectifs premiers de la RC : mieux s’outiller collectivement pour changer la société !

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