Qu’est-ce qu’une carrière scientifique ? Si l’on en croit les CV des chercheur-e-s, c’est une succession de réussites et de moments de gloire : bourses de recherche, articles publiés, prix scientifiques, communications dans des conférences et, (le graal) l’obtention d’un poste. Cette vision de la recherche est évidemment trompeuse. Et si nous rendions visibles nos échecs ?
Échouer : arriver dans un lieu inattendu et s’y installer
Visibiliser l’échec
Prendre au sérieux les échecs, dans le monde académique, est une idée qui fait son chemin. Pour ma part, je suis tombé très récemment sur un article publié dans la revue Nature (merci Lara !), où l’auteure suggère justement de mettre en question l’apparence de linéarité qui balise les carrières des chercheur-e-s. Reconnaitre ses échecs, c’est admettre que nos parcours intellectuels se construisent (aussi) avec des bifurcations, des projets rejetés ou non-financés, des articles refusés, des remises en question et des doutes. Comme l’explique bien Melanie Stefan :
As scientists, we construct a narrative of success that renders our setbacks invisible both to ourselves and to others. Often, other scientists’ careers seem to be a constant, streamlined series of triumphs. Therefore, whenever we experience an individual failure, we feel alone and dejected.
Rendre visible les échecs, c’est alors une manière de (contribuer à) déconstruire l’individualisme et la compétition qui minent nos communautés intellectuelles. Sans se faire d’illusions : l’individualisme et la compétition ont des racines puissantes — la raréfaction des postes, la précarité, l’importance du « réseau », les critères de sélection de plus en plus inatteignables. Mais cette démarche de transparence réfléchie a au moins le mérite de montrer une autre facette de la réalité du métier de chercheur.
Suivant les nombreux exemples (voir ici, là, ici, ou encore là), je me suis essayé à l’exercice. Une démarche intéressante, mais loin d’être évidente… Principal constat : il n’y a pas que le CV qui est sélectif, la mémoire l’est aussi ! À l’exception de quelques souvenirs cuisants, j’ai eu des difficultés à établir cette liste. Et il en manque, c’est certain, notamment du côté des propositions de communication pour des conférences. J’alimenterai donc ce CV des « échecs » au fur et à mesure que la mémoire me reviendra !
Le résultat final est ici (et le CV des « réussites » est là !).
[Soyons franc cependant : visibiliser un CV des « échecs » est un privilège de riche, au sens où je me le permet parce que j’estime que mon autre CV tient la route].
Les horizons de l’échec
Ces réflexions autour de l’échec m’ont également fait penser aux deux journées intitulées « Au-delà de l’échec », organisées sous la houlette de Viviane Namaste en 2013. Un moment unique d’échanges autour de la notion d’échec dans le champ de la recherche et de l’intervention sur le VIH/sida, dont j’avais parlé à l’époque. Dans la même veine, un dossier passionnant « Museum of Failed HIV Research » a été publié dans la revue Anthropology & Medicine en 2015. À (re)découvrir !
Pour conclure ces quelques réflexions sur la notion d’échec, je voudrais revenir à l’un des sens, trop souvent oublié, du verbe (s’)échouer :
Arriver dans un lieu inattendu et s’y installer
Et si, finalement, l’échec/l’échouage était parfois l’occasion d’explorer d’autres horizons ? Je ne remercierai jamais assez l’ami qui m’a éclairé cette dimension de l’échec (il se reconnaitra) !