Samedi 29 mars, j’étais invité par l’équipe du Centre LGBTQIF « J’En suis J’Y reste » à Lille pour discuter autour du livre Les homosexuels et le risque du sida. Ce débat constituait le premier évènement d’une « Quinzaine du centre » au programme passionnant. Au menu, une présentation du bouquin et une discussion entrecoupée de lectures de textes sur les sexualités gaies, par Lucien Fradin ! Le tout dans une ambiance studieuse mais très chaleureuse. Merci aux LilloisEs pour leur accueil !

Du livre au débat

Pour ouvrir la discussion, j’avais choisi de présenter le livre dans ses grandes lignes, en partant de ma propre position de chercheur engagé. Je me suis ensuite concentré sur une lecture critique du terme bareback, pour éclairer sa construction historique, ses significations variables et ses usages politiques.

Mais parler de bareback implique également de s’intéresser à la circulation et aux appropriations profanes du terme dans les cultures sexuelles des hommes gais. En m’appuyant sur divers extraits d’entretiens, j’ai illustré les analyses présentées dans le livre. Enfin, dans la conclusion de mon intervention, j’ai insisté sur la dimension morale et politique des discours de santé publique et de prévention. L’enjeu n’étant finalement pas tant d’évacuer la morale, mais d’avoir conscience qu’elle est au coeur des discours et les pratiques de prévention.

Des mots de la sexualité

Comme en écho aux extraits d’entretiens, mais dans un registre moins sanitaire et plus jouissif, Lucien Fradin a lu des extraits de texte de diverses époques autour des sexualités gaies : avec, entre autres, des extraits de Tricks, de Renaud Camus, mais aussi de Faggots, de Larry Kramer, en passant par un texte d’Edmund White…

Pour le plus grand plaisir de l’auditoire, Lucien a ainsi ménagé des temps de respiration littéraire dans ce débat animé !

Catégories expertes

La discussion s’est rapidement orientée sur la question des catégories de la prévention. Le bareback, terme inconnu de l’un des participants, a sans surprise été au centre de la discussion. L’occasion de constater la manière dont les usages de cette catégorie se transforment avec le temps. Les entretiens analysés dans le livre ont été recueillis entre 2005 et 2009. Comment ont évolué les représentations du risque depuis ? Dans quelle mesure la médicalisation de la prévention a changé la donne ? Et pour quels gais ? On s’est également interrogé sur la popularité du terme. Indéniablement, la culture porno a contribué à sa démocratisation. Mais selon quelles logiques ? Et qui sont, sociologiquement, les gais/bis qui n’ont jamais entendu parlé du bareback ? Des pistes de réflexions passionnantes !

On a ensuite discuté de la sérophobie et du poids des discriminations dans la construction d’une identité minoritaire. Dans ce cadre, qu’est-ce que les débats sur le bareback ont rendu dicible en termes de pratiques sexuelles ? À l’inverse, qu’ont-ils contribué à laisser dans l’ombre ?

Regard médical sur la sexualité gaie

Plusieurs interventions ont porté sur le poids du regard des médecins sur les gais. Du bareback au « slam » (pratiques d’injection de drogue en contexte sexuelle), la sexualité des hommes gais suscitent toujours de la fascination et de la réprobation morale au sein du monde de la santé publique. Au point de confondre parfois des pratiques très minoritaires avec des « tendances » communautaires… Comment se défaire de ce regard normatif et en surplomb ? Comment, sans nier les problèmes de santé, imaginer une santé sexuelle plus attentive au plaisir ?

On s’est ensuite interrogé sur la place du VIH dans la vie des gais. Près de 35 ans après le début de l’épidémie, peut-on penser le désir et le plaisir sans le sida ? Et quelles en sont les implications subjectives ? L’un des participants, séronégatif, rappelait que pour lui le VIH est toujours implicitement là dans les interactions sexuelles.

Enfin, autre moment fort de la discussion, la question de l’explication des prises de risque. J’avais insisté dans la présentation sur l’intérêt épistémologique de se concentrer sur le « comment » plutôt que sur le « pourquoi ». Mais dans la pratique — associative, médicale — de prévention, comprendre les raisons profondes de telles ou telles pratiques ne permettrait-il pas de mieux prendre en charge les personnes ? Difficile de trancher ce débat complexe. Mais ce fut l’occasion de souligner la nécessité, pour ceux et celles qui investiguent les enjeux de risque sexuels chez les gais, d’adopter une posture d’humilité. Si la prévention s’appuie sur la parole (se raconter, conscientiser des pratiques, être aidé, etc.), peut-on prétendre saisir de manière absolue les motivations de l’usage (ou non) de la capote ? Et pour en faire quoi ?

Déjouer les approches pathologisantes de la prise de risque, laisser à chacun sa part d’ombre et de complexité relève alors d’une démarche éthique.