La nouvelle est tombée la semaine dernière, elle est à présent publique, ici et là : AIDES met en œuvre un plan de licenciement majeur, qui touche 65 postes. Les différentes parties ont fait connaitre leur point de vue, et je ne les commenterai pas ici sur le fond. Le vocabulaire consacré (« plan de sauvegarde de l’emploi ») ne masque pas la cruelle réalité pour des dizaines de salarié-e-s, licencié-e-s ou précarisé-e-s par la peur d’être de la prochaine charrette. Sur ce site, je n’ai pas l’habitude de « parler boutique », même si mon engagement à AIDES depuis 2002 n’est pas un secret. Cependant, dans la situation actuelle, je voulais partager quelques réflexions et dire quelques mots sur le sujet.
Solidarité
Dire mon soutien et ma solidarité aux salarié-e-s en lutte (et aux autres), d’abord. Votre combat est légitime et juste. Collectivement, nous sommes entré dans la phase complexe où l’on ne peut plus faire « comme si » AIDES n’était pas la très grosse structure qu’elle est devenue. Avec ses rapports de force et de pouvoir. Et avec ses conflits du travail inévitables. En retirer des enseignements organisationnels politiques pour l’avenir sera l’un des enjeux du conflit actuel, pour les militant-e-s dans leur ensemble.
Débats
Dire aussi qu’une part de ces débats appartient à AIDES et à ses instances démocratiques (à tous les échelons, du terrain au niveau national). Parce que ce sont des débats d’orientation, et parce que AIDES reste une structure démocratique. Donc désolé pour les adversaires ou les ennemis de AIDES, je ne cracherai pas publiquement dans la soupe. Mais j’apporterai ma pierre aux débats internes.
Futur
Dire enfin, et cela n’enlève rien à mon soutien aux salarié-e-s face à l’injustice qu’ils et elles vivent, que la crise actuelle devrait servir de point de départ à une discussion publique sur l’avenir et les transformations de la lutte contre le sida en France (et ailleurs). Le paysage associatif est très morcelé, marqué par le désengagement militant, et beaucoup de petites structures sont en difficulté. Parallèlement, notre terrain de lutte commun se caractérise par un manque criant d’espaces de discussion démocratiques. La presse communautaire — Yagg, notamment — joue son rôle, en rendant compte. Mais les postures égotiques, les présomptions à l’emporte pièce, les critiques de couloir ou les commentaires d’articles en ligne tiennent trop souvent lieu de tribunes, asséchant presque totalement la possibilité d’un forum constructif. Dans ce contexte, le statu quo est roi. Et ce, alors même que la lutte contre le sida est traversée depuis près de 15 ans par des questions incontournables et importantes : les enjeux de la professionnalisation de la lutte (on pourrait ici faire des liens avec les mouvements féministes), la répartition structurelle des rôle entre pouvoirs publics et associations, les questions de financements, la place des militant-e-s, la question de l’expertise, la représentativité et ses limites, les priorités d’action, etc.
Il parait donc nécessaire d’envisager les choses autrement, à travers un processus collectif d’états généraux du sida, par exemple. En attendant, bon courage à ceux et celles qui luttent.
« Ne pas faire sans et faire avec »
Tout a basculé, le « ici et maintenant » a pris une autre temporalité, le temps d’avant ne sera plus jamais le même et le temps d’après reste à reconstruire.
Je reste sans voix, le sol se dérobe sous mes pieds, je constate les dégâts, je suis tétanisée. Je suis meurtrie dans mes valeurs, mon engagement sans failles, je me débats, je réagis aussi, c’est les valeurs en plein cœur, la question de ma vie.
J’encaisse les coups les bras ballants, le cœur grouillant, la tête aux abonnés absents. J’ai l’impression de prendre des coups de tous les côtés. Cette expérience je la traverse, je la vis comme un tourbillon, un crève-cœur, une injustice.
Je me sens emportée dans ce déchaînement d’agressions et d’acharnement, dans ce face à face sans nom, dans ce jeu de miroir et de reflets, dans ce dos à dos sans sens qui consiste à utiliser les mêmes méthodes que celles dénoncées chez l’autre…
Et puis tes quelques mots audibles, quelques lignes qui se dessinent comme un échappatoire, une réflexion… Quelques mots dans ce brouhaha, quelques mots qui m’autorisent subrepticement à prendre la parole, à ne plus rester sans voie, sans perspective.
Alors, je parle même si ce soir encore mes idées ne sont pas claires, je voudrais juste qu’un murmure enfle, se fasse entendre. Pas une parole pour dévaster, pas une parole pour voir qui « pisse le plus loin », une parole qui libère, une parole qui propose, une parole qui construit … Une parole qui se regroupe, ces « je » qui deviennent « nous ».
Comment ne pas avoir fait le choix de ce chemin audacieux au sein de AIDES ? Comment avoir choisi ce AIDES qui descend, qui descend et qui écrase ?
Comment ne pas tenter un chemin improbable, celui de croire que tous les ressources pouvaient se mettre en marche.
Je voudrais juste être actrice de cette situation ne pas la subir, ni m’y complaire. Et le faire avec d’autres.
Demain, je veux faire avec, non pas comme un renoncement, en courbant l’échine et en regardant mes pieds, je veux faire avec en levant les yeux vers l’horizon, « faire avec » comme une force et un ensemble.
Clo
Merci Clo, pour ton message et les réflexions partagées. Il est en effet essentiel en ce moment de réfléchir à comment faire du « nous » avec nos « je » et de maintenir la flamme du projet de santé communautaire qui fonde AIDES. En tout cas, le combat (et la réflexion) continuent !
Merci Gabriel et merci clo, pour vos mots qui frappent juste et qui aident, enfin qui m’aident moi, à comprendre que non, je n’ai pas loupé des épisodes, non, ma douleur n’est pas anormale. Ce qui est anormal, c’est que dans AIDES, aucun moment, aucun espace n’a été donné aux militants pour entrevoir les options et les stratégies. Ce qui est anormal, c’est de se retrouver dans une situation prévue, organisée, depuis longtemps déjà, mais que depuis des mois nous sommes sans cesse renvoyés dans nos pénates, « tranquillisez-vous… » Avec ou sans moi, je veux aussi que AIDES retrouve du sens, que ce fonctionnement « qui descend, qui descend, qui écrase » (j’aime beaucoup la formule !) ne soit plus. Je serai donc également actrice de ce mouvement, que ça plaise ou pas.