Hier j’ai pris part en visioconférence à un point presse organisé par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) au sujet des recherches sur la prévention du VIH chez les hommes gais et bisexuels. L’occasion de souligner la parution de l’article co-signé avec Véronique Doré dans la revue Archives of Sexual Behavior. Mais aussi de revenir sur les différents projets en cours financés par l’ANRS dans le domaine des sciences sociales et de la santé publique sur le sujet. Retrouvez le dossier de presse ici. Et ci-dessous, la présentation plus détaillée de notre article !
Les homosexuels et la prévention du VIH/sida : 30 ans de recherche
À l’heure de la Prophylaxie pré-exposition (PrEP) et la médicalisation croissante de la gestion des risques, quel est l’apport des recherches françaises en sciences sociales sur la prévention du VIH chez les homosexuels masculins ? Les travaux financés en France se distinguent-t-ils des recherches menées à l’étranger ? Tel est le double point de départ des travaux de Gabriel Girard et Véronique Doré, auteurs d’un article publié dans la revue Archives of Sexual Behavior.
Ces travaux s’appuient sur une vaste recension des publications (livres, articles, chapitres, rapports) issues des recherches financées par l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) de 1988 à 2016. La spécificité française des recherches dans le domaine tient moins aux thématiques abordées – les questions liées à la prévention du VIH/sida chez les gays ont été très tôt internationalisées – qu’au contexte scientifique et politique dans lequel se déroulent ces recherches. Au fil de l’article, les deux co-auteurs tracent les contours des différentes séquences historiques qui jalonnent cette histoire collective.
Pour les auteurs, la période 1985-1991 est marquée par les travaux pionniers menés par Michael Pollak et Marie-Ange Schiltz. Avant même la création de l’ANRS, leurs « Enquêtes presse gay » fournissent des données quantitatives précieuses. L’analyse des comportements à risque (plutôt que des « groupes à risque ») et du recours au préservatif marque durablement la manière d’envisager la prévention du VIH. Après 1988, les appels d’offre de l’Agence vont permettre de financer des travaux explorant plus avant différentes thématiques.
La période 1991-2000 voit l’émergence d’une multitude de travaux centrés sur les cultures de la sexualité : « La mesure des comportements sexuels ne suffit plus à comprendre les logiques de prévention, d’autant qu’on a constaté sur le terrain une stagnation, voire un recul de l’utilisation du préservatif. Des recherches qualitatives sont alors nécessaires pour mieux cerner les pratiques et les représentations, mais aussi pour saisir les enjeux de la vie avec le VIH. », estiment les auteurs.
La période 2000-2007 est caractérisée par des préoccupations croissantes autour du retour de comportements à risque. Dans la foulée de l’introduction des trithérapies (en 1996), le recul de l’utilisation du préservatif parmi les gays est manifeste. De nombreux travaux s’intéressent alors au phénomène de « barebacking » (la revendication de pratiques sexuelles sans préservatif), mais aussi plus largement aux nouveaux aménagements préventifs qui combinent l’utilisation du préservatif et des stratégies de réduction du risque. Dans un contexte controversé, les recherches financées par l’ANRS cherchent à documenter ce nouveau rapport au risque.
La dernière période, depuis 2007, est marquée par l’émergence et le succès des approches biomédicales de prévention, alternatives ou complémentaires au préservatif. Les recherches sur le dépistage rapide, mais aussi sur le « traitement comme prévention » transforment le paysage de la prévention du VIH. Au cœur de ces travaux, de nouvelles alliances se créent entre chercheurs, acteurs associatifs et de santé publique. L’essai ANRS IPERGAY sur la PrEP en est un symbole.
Au terme de l’article, il apparait que les recherches françaises sur la prévention du VIH ont permis de développer un vaste champ de recherche sur les sexualités minoritaires et les mobilisations sociales liées au sida. Au cours des dernières années, la prédominance des approches biomédicales de prévention questionne cependant l’utilité des sciences sociales dans ce domaine.
Or, « les stratégies biomédicales comme la PrEP ou l’indétectabilité de la charge virale soulèvent indissociablement des questions sociales et politiques, estiment les auteurs. De l’observance des traitements, à la question des conditions d’accès à la prévention, en passant par la transformation des normes du safer sex dans la communauté gaie, le regard des sciences sociales demeure incontournable ». concluent-ils.