Ce texte a été initialement publié dans les colonnes du Huffington Post Québec, suite au colloque sur la santé des personnes LGBT qui s’est tenu à Paris en mars. Bonne lecture !
Changer la donne en matière de santé LGBT implique de cesser d’envisager ces enjeux comme trop spécifiques ou trop minoritaires. Au contraire, dans ce domaine comme dans d’autres, l’action des minorités sexuelles et de genre est profitable à tous et toutes.
Trois constats
Pourquoi les conditions de santé des lesbiennes, des bisexuels, des gais et des transgenres (LGBT) sont-elles structurellement plus défavorables que celles de leurs concitoyens hétérosexuels? Ce questionnement était au cœur du colloque international sur la santé LGBT tenu à Paris les 9 et 10 mars dernier, et qui a rassemblé des chercheurs, des acteurs communautaires, des soignants, des institutions de recherche et de santé publique.
Une telle question ne se satisfait pas de réponses simples, et c’est le premier constat issu de ce colloque. Les réalités vécues par les personnes LGBT sont en elles-mêmes multiples, en fonction de l’âge, du genre, du lieu de résidence, du niveau socio-économique, de la couleur de peau ou de l’état de santé. Cette diversité constitutive est à la fois une richesse et un défi pour le développement d’intervention et de programme en santé LGBT.
Certains de ces enjeux de santé sont communs: dans le domaine des Infections transmises sexuellement (ITS), les minorités sexuelles et de genre paient toujours un lourd tribut. C’est également le cas pour la santé mentale. Les recherches ont démontré à quel point l’expérience de l’homophobie, de la lesbophobie ou de la transphobie a des effets délétères sur le bien-être psychologique et, malheureusement aussi, sur les idéations et les tentatives de suicide. D’autres enjeux de santé sont plus spécifiques: les lesbiennes font face à des difficultés d’accès aux soins gynécologiques, et les personnes trans subissent toujours de fortes discriminations dans l’accès au soin en général. Ces exemples illustrent certaines des dimensions structurelles des problèmes rencontrés.
Le second constat qui ressort du colloque concerne les relations de soins. Les discriminations vécues par les personnes LGBT dans le milieu médical s’ancrent souvent dans la méconnaissance et/ou les présomptions des soignants. À ce titre, les études scientifiques et les retours d’expérience convergent: dans bien des cas, le patient reste implicitement considéré comme hétérosexuel et cisgenre. Il lui revient alors de faire la preuve du contraire, en dévoilant son orientation sexuelle et/ou son identité de genre. Cette sortie du placard est-elle encore nécessaire dans le cabinet médical? Oui, selon les experts, car elle permet d’établir des discussions franches sur les différentes dimensions de la santé individuelle. Elle constitue en tout les cas souvent une épreuve, tant sont anticipés les jugements normatifs ou les réactions de rejet.
L’enjeu d’une médecine plus LGBT-friendly a constitué l’un des fils conducteurs des discussions du colloque. Il nous faut envisager des services de santé plus adaptés, plus accessibles, tout en restant abordables financièrement. Mais un tel objectif n’est pas à sens unique. L’idée est d’outiller les patients, afin de créer les meilleures conditions pour se dire. Mais il s’agit aussi de sensibiliser les soignants et de les accompagner, pas simplement dans l’acquisition de savoirs spécifiques, mais aussi dans le développement de savoirs-être face à la diversité sexuelle.
Troisième constat: agir sur les inégalités sociales de santé vécues par les communautés LGBT implique d’envisager différentes échelles d’intervention et de réflexion. La santé des minorités sexuelles, pour des raisons historiques et épidémiologiques, a longtemps été résumée aux interventions en santé sexuelle et à la lutte contre le VIH et les ITS. Cette approche très génitale de la santé est limitative, et elle élude des dimensions clés des réalités des personnes LGBT. Au Québec, comme en France ou en Suisse, tous les acteurs de la santé LGBT s’accordent sur la nécessité d’approches holistiques, intéressés autant par les expériences individuelles que par les contextes sociaux et culturels dans lesquels elles s’inscrivent. Mais les financements en santé publique et en recherche ne suivent pas nécessairement.
Un révélateur d’inégalités sociales
Le colloque tenu à Paris a finalement permis de s’entendre sur un point décisif: les problèmes de santé des personnes LGBT ne se résument pas à des difficultés ponctuelles de discriminations ou de coming out. Elles mettent en jeu des formes d’injustices structurelles et multidimensionnelles. Loin de constituer un groupe homogène, les communautés LGBT sont également traversées de rapports sociaux inégalitaires, liés à la précarité sociale, au racisme ou au sexisme. Dans ce cadre, le cumul des inégalités constitue le terreau du cumul des vulnérabilités de santé.
Changer la donne en matière de santé LGBT implique de cesser d’envisager ces enjeux comme trop spécifiques ou trop minoritaires. Au contraire, dans ce domaine comme dans d’autres, l’action des minorités sexuelles et de genre est profitable à tous et toutes. Elle s’inscrit ainsi dans une démarche globale pour des rapports de soin humanistes et adaptés aux spécificités de chacun. Une telle approche implique indiscutablement des alliances productives entre les communautés, les soignants, les chercheurs, les institutions de santé publique et les décideurs politiques.