Asseoir dans une même salle, et pendant deux jours, des membres de la communauté, des soignants, des chercheurs et des intervenants pour parler de la santé et de l’accès aux soins des hommes gais et bisexuels ? Pari réussi pour le Forum communautaire MOBILISE!, qui s’est tenu au Musée des Beaux-Arts les 21 et 22 octobre derniers : plus de 70 personnes étaient présentes !
Cet article de compte-rendu a été publié initialement dans FUGUES.
Des liens étroits
C’est bien de mobilisation collective dont il a été question, tout au long de ces deux jours. Le vendredi soir le Dr. Réjean Thomas a retracé les grandes étapes de l’épidémie de sida : l’origine du VIH, la découverte des premiers cas, en 1981 et l’identification du virus en 1983, les premiers tests de dépistage en 1985, l’arrivée des trithérapies en 1996, jusqu’à la PrEP aujourd’hui…. Alternant entre les faits historiques et le récit personnel d’un médecin engagé dès 1984, Dr Thomas a permis de mieux saisir les liens étroits entre la communauté gaie et la lutte contre le VIH/sida. Des liens dont l’exposition de photographies de Robert Mapplethorpe, exposées au MBAM, témoignent à leur manière.
Un projet de mobilisation citoyenne
Les deux jours du Forum MOBILISE! ont été l’occasion de faire le point sur le projet de recherche-action. Dès vendredi, durant le panel d’ouverture, des animateurs d’équipes citoyennes ont souligné la richesse des discussions autour de la santé sexuelle dans la communauté et des préoccupations très diverses : le besoin d’informations, les difficultés d’accéder à certains services de santé, le manque d’espaces pour discuter de sexualité et de prévention. À ce stade du projet, 83 personnes ont participé aux équipes citoyennes. Une quinzaine de nouvelles rencontres auront lieu d’ici la fin 2016, avis aux volontaires !
Samedi, le forum s’est poursuivi avec la présentation des premières données issues de l’enquête MOBILISE! Plus de 400 questionnaires ont déjà été analysés, qui reflètent la diversité de la communauté. Les présentations de la matinée ont permis de constater que la connaissance des stratégies de réduction des risques est très variable : sans surprise, le condom et le dépistage sont bien connus.
Concernant les stratégies de traitement comme prévention, le niveau d’appropriation et les avis divergent. La Prophylaxie pré-exposition (PrEP), est non seulement mieux connue, mais également perçue comme plus efficace. À noter que 17% des répondants l’ont déjà utilisée. Pour la PrEP comme pour le Prophylaxie post-exposition (PPE), la honte et la peur du jugement de la part des professionnels de santé restent des barrières d’accès importantes.
La considération de la charge virale indique un décalage : elle est connue et perçue comme fiable par les séropositifs, mais beaucoup moins par les autres répondants. Pourtant, l’efficacité préventive de la charge virale indétectable est documentée depuis près de 10 ans. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce paradoxe : la considération de la charge virale a bénéficié d’une moins grande couverture médiatique que la PrEP. Et elle implique d’avoir confiance en soi et dans les autres : malgré l’indétectabilité, certains répondants séropositifs craignent encore de transmettre le VIH ; et certains séronégatifs sont suspicieux lorsqu’un partenaire se déclare indétectable.
Sur ces différents sujets, les débats ont été passionnants et se sont poursuivis en après-midi autour d’une activité de « speed thinking ». Les participants ont pu partager leurs expériences et leurs stratégies, mais aussi exprimer la nécessité de voir circuler des informations fiables et objectives sur la réduction des risques.
Améliorer l’accès aux services de santé
L’accès aux services de santé constitue une autre dimension importante des données de l’enquête MOBILISE!. Ces résultats confirment ce que nous ont appris les équipes citoyennes : les parcours vers les services restent parsemés d’embûches, qui freinent ou empêchent l’accès. C’est d’autant plus vrai pour les services non médicaux, en lien avec la précarité, la dépendance, la violence ou les discriminations. Il reste beaucoup de travail pour améliorer le référencement vers d’autres ressources. Mais les barrières sont aussi internalisées : pour une bonne part des répondants, la honte et la peur du jugement des autres constituent des freins à l’accès aux services. Enfin, le fait de devoir débourser de l’argent est aussi facteur de non recours.
Il y a du travail à faire au niveau structurel : mieux former les soignants et les intervenants, sensibiliser les décideurs, mais aussi rétablir l’éducation à la sexualité dans les écoles. Mais il y a également des actions à mener pour faciliter l’accès aux services : une meilleure visibilité de « qui fait quoi » ou une approche plus globale des personnes, et pas uniquement centrée sur leurs problèmes de santé sexuelle. Le bien-être psychologique et l’insertion dans un réseau social sont aussi des facteurs de meilleure santé.
MOBILISE! se poursuit
Au cours des dix dernières années, la prévention s’est diversifiée. Le condom a longtemps été le seul outil disponible, alors qu’aujourd’hui les stratégies sont multiples. Mais comme le révèle MOBILISE!, elles sont diversement connues par les hommes gais/bisexuels. Il y a un écart important entre la connaissance des outils et la perception de leur efficacité préventive. Ensuite, l’enquête démontre bien qu’en terme de barrières à l’accès aux soins, les solutions viendront à la fois de changements structurels et du développement des capacités d’agir des communautés d’hommes gais/ bisexuels. Enfin, l’analyse des données met également en lumière l’existence d’un sous-groupe vulnérables. Les personnes qui ne connaissent pas leur statut sérologique. Ces dernières sont moins bien informées en moyenne, et elles sont plus susceptibles d’avoir rencontré des barrières dans l’accès aux soins.
Le projet MOBILISE! représente un levier inédit et puissant pour faire améliorer la santé sexuelle des hommes gais/bisexuels à Montréal et au Québec, et des observateurs d’autres villes au Canada sont venus assister aux débats pour s’en inspirer. Ce forum nous mène à une conférence de plus grande ampleur à l’été 2017, durant les festivités de Fierté Canada à Montréal.
À noter : il est encore temps de remplir le questionnaire d’enquête MOBILISE ! Les données collectées seront très utiles pour alimenter les constats du projet de recherche. Chaque réponse compte !