Je reproduis ici la tribune publiée avec deux collègues, Pierre-Marie David et Nicolas Le Devedec, dans le journal en ligne Ricochet, début décembre, dans le contexte des réformes de la santé au Québec. Autant dire que la tribune n’a rien perdu de son actualité ! Une bonne occasion de vous encourager à lire et faire connaitre Ricochet, un excellent journal en ligne et une tribune indépendante indispensable !

Ce qui est en jeu, c’est bien la question du service public, seul à même de garantir un minimum d’équité dans l’accès aux soins de santé curatifs ou préventifs.

Oui, la santé publique est politique

Nombreuses sont les voix qui s’élèvent et révèlent une inquiétude croissante sur la prochaine réforme du système de santé. De l’ancien ministre Castonguay aux usagers anglophones qui n’auraient plus de services accessibles dans leur langue, en passant par les chercheurs, les jeunes médecins de santé publique et d’autres appels pour la défense du service public. Ces incertitudes sont renforcées par des annonces ministérielles floues et équivoques qui entretiennent un climat global d’inquiétude sur la santé publique au Québec.

La santé publique serait vue par le gouvernement libéral comme un enjeu exclusivement politique, au mépris des données probantes, déplore à juste titre une source anonyme citée par le Devoir le 4 novembre 2014. On ne doit toutefois pas oublier que la santé publique est pourtant éminemment politique, si l’on prend ce terme non dans son sens purement électoraliste, mais dans son sens le plus fondamental, soit celui de la définition démocratique du bien commun.

La santé publique s’intéresse en effet aux inégalités sociales, aux manières collectives de les surmonter et d’imaginer une société plus juste. Cela, le secteur privé est incapable de le faire. La théorie économique elle-même est d’ailleurs réticente à considérer la santé comme un marché comme un autre : le médecin et le patient n’ont pas le même niveau d’information, la maladie aussi bien que son traitement restent ancrés dans une incertitude fondamentale. Le secteur privé s’adapte et n’investit pas dans tous les secteurs de la santé. Les secteurs profitables sont identifiés et des cliniques privées donnent déjà des services. Par contre, les services non profitables et essentiels à la prise en charge de tous – condition essentielle à la cohésion sociale – sont délaissés.

Pour preuve de l’utilité du réseau de santé publique au Québec, le rapport 2011 du DSP de Montréal documente les inégalités de santé majeures sur un territoire restreint et a priori homogène : l’île de Montréal. L’espérance de vie, c’est-à-dire la durée de vie attendue à la naissance pour un individu, peut varier de plus de 10 années en fonction du quartier de résidence. Ce rapport nous invite ainsi à repenser les conditions structurelles et locales qui déterminent l’état de santé de la population montréalaise.

Ce qui est en définitive en jeu, c’est donc bien la question du service public, seul à même de garantir un minimum d’équité dans l’accès aux soins de santé curatifs ou préventifs. L’orientation prise actuellement par le gouvernement ne va malheureusement pas dans le sens de la valorisation de cette dimension politique essentielle de la santé publique. Au contraire, elle contribue à un creusement des inégalités. En tant que chercheurs en sciences sociales de la santé, nous estimons qu’une politique rationnelle en ce domaine nécessite de s’appuyer sur les faits. Si l’on s’accorde sur la nécessité reconnue de diminuer les inégalités sociales de santé, force est de constater que les réformes telles que présentées actuellement ne peuvent que les aggraver.


Pierre-Marie David est chargé de cours de la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal
Gabriel Girard est chercheur postdoctorant à l’IRSPUM
Nicolas Le Devedec est chargé de cours du département de sociologie de l’Université de Montréal