Le 6 octobre, c’est la troisième journée de la « disance » autour du statut sérologique, initiée par AIDES. Ce néologisme a été inventé lors d’une rencontre de femmes séropositives en France, en 2011. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ce terme étrange ? L’idée que se dire séropositif/ve dans nos sociétés reste difficile : l’ignorance provoque trop souvent des réactions de rejet. Un rejet qui alimente la médisance. Avec la disance, il s’agit donc d’élaborer des stratégies de dévoilement respectueuses de chacun-e. Mais surtout, il s’agit de travailler sur les conditions du dire, selon les moments et les contextes.
Du Je au Nous
À AIDES, la question de la prise de parole a des ramifications intellectuelles et politiques profondes. Pour s’en convaincre, il suffit de feuilleter l’ouvrage Une vie politique, dans lequel Daniel Defert retrace son parcours. L’association est née d’une indignation intime, le secret dans lequel les médecins de Michel Foucault ont tenté d’envelopper la mort du philosophe, car sa maladie, le sida, était trop honteuse. Pour Defert, cette expérience fondatrice vient en croiser une autre, plus collective : le silence et l’isolement dans lequel disparaissent les premiers malades du sida.
Ce double travail autour du secret et du silence (et leurs envers, l’aveu et la prise de parole) pourrait résumer les fondations de AIDES. L’enjeu est alors de construire une parole collective autour de l’expérience de la séropositivité, pour sortir de la logique du témoignage individuel prisé par les médias. La démarche s’accompagne d’une réflexion approfondie sur les conditions de la prise de parole, et sur le droit de ne pas dire.
Mais, s’il n’y a aucune obligation à parler publiquement de son statut sérologique, militer dans la lutte contre le sida implique souvent de vivre avec la présomption de la séropositivité dans le regard des autres. S’engager, aujourd’hui encore, c’est donner prise à cela.
Dans l’approche de AIDES, la parole se veut aussi un outil d’émancipation politique. Defert le résume bien lorsqu’il explique l’importance des groupes d’auto-support dans l’action quotidienne de l’association :
Si j’insiste sur l’histoire des groupes de parole, c’est que l’intimité particulière qui s’y échange ne relève selon moi pas de l’ordre de l’aveu mais de l’accès à soi et à l’autre, dans le même mouvement (…) À travers ces groupes s’est véritablement construit un nouveau discours où le plus intime devenait collectif, et en même temps politique (p.165-6).
C’est dans cette filiation que s’inscrit (aussi) la journée de la disance.
Une journée pour ne présumer de rien
Centrée autour du dévoilement du statut sérologique, l’idée de la disance soulève bien d’autres questions, à l’heure de la « prévention combinée ». D’ailleurs, dans le rapport Lert-Pialoux, paru en 2010, la question de « se dire » occupait une place importante, mais trop peu explorée depuis à mon goût. Elle était notamment résumée dans cette recommandation (récurrente) : « Promouvoir des interventions vers les gays, afin de leur donner des compétences de négociation du safer sex et du dévoilement du statut sérologique ». Cela concerne ici les gais, mais on pourrait l’appliquer à bien d’autres situations.
Dans le contexte actuel, la « disance » est une démarche aux dimensions multiples.
Se dire, en prévention, cela peut permettre de donner accès à des informations qu’on estime utiles et/ou importantes dans l’intimité. Ce dévoilement recouvre des situations variées : séronégatif, séro-intérogatif, séropositif indétectable, sous Prep, séropositif sans traitement, etc. Au point que le partage binaire des statuts sérologiques (séropo/séroneg) est aujourd’hui toute relative. Se dire, cela peut aider à changer les mentalités, comme le font les personnes qui choisissent de parler publiquement de leur séropositivité, ou ceux qui évoquent leur expérience avec la Prep. Mais l’enjeu de se dire, c’est aussi d’avoir le choix de garder le silence.
Il est essentiel que la journée de la disance ne consiste pas à faire porter la responsabilité de la prise de parole aux personnes qui vivent avec le VIH. L’évènement ne saurait non plus se résumer à l’injonction au coming-out généralisé, comme contrepartie à l’accès aux services de santé, à la respectabilité sociale, etc. La dictature de la transparence n’est jamais loin…
Finalement s’engager pour la disance, cela peut se faire de plusieurs manières. Et d’abord, en interrogeant nos propres présomptions. Car ce sont elles qui, bien souvent, entravent la capacité de l’autre à se dire, et surtout, notre capacité à l’entendre. Ces présomptions sont parfois explicites (« T’es clean ? »), mais très souvent implicites, par exemple lorsqu’un soignant n’imagine même pas que son patient puisse ne pas être hétéro et cisgenre.
Commencer par travailler nos propres présupposés, dans la sexualité et la prévention, est peut-être déjà un bon début. Et c’est une démarche qui se conjugue au singulier comme au pluriel !