Dix ans après l’égalité juridique pour les couples de même sexe, où en sont les combats LGBT au Québec ? Et quelle est la situation des « négligé-e-s de la marge », les minorités au sein même des communautés LGBT ? Ces questions étaient au cœur du colloque organisé jeudi et vendredi dernier par l’organisme GLBT-Québec. Avant un compte-rendu plus exhaustif, voici la retranscription de mon intervention lors de la session « Santé sexuelle et diversité », organisée par le MIELS-Québec !
La santé LGBT est une question politique : la situation de minorité n’est pas un enjeu de nombre, mais bien un enjeu d’inégalités sociales et d’oppression
Retour sur un colloque réussi !
Rassemblant des militant-e-s, des intervenant-e-s et des chercheur-e-s, le colloque a été un grand succès, tant en terme de participation (près de 120 personnes) qu’en terme de qualité des présentations et des échanges. Enjeux trans, minorités racisées, vieillissement, santé sexuelle, situations des LGBT vivant en région… les thèmes des sessions ont permis d’ouvrir des pistes de réflexions et de dialogue très intéressantes. Un grand bravo à toute l’équipe d’organisation !
Autour de la santé sexuelle, la demande des organisateurs était de centrer la session sur l’adaptation des services et des actions. De ce fait, l’intervention s’est d’abord appuyée sur plusieurs constats sur les enjeux actuels en terme de santé sexuelle LGBT, avant de dresser un état des lieux des choses qui se font et de tracer quelques pistes pour l’avenir.
La santé sexuelle ?
Avant de commencer, de quoi parle-t-on quand il est question de santé sexuelle ? La définition proposée en 2002 par l’Organisation Mondiale de la Santé pose des bases importantes : « La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social associé à la sexualité. Elle ne consiste pas uniquement en l’absence de maladie, de dysfonction ou d’infirmité. La santé sexuelle a besoin d’une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, et la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui apportent du plaisir en toute sécurité et sans contraintes, discrimination ou violence. Afin d’atteindre et de maintenir la santé sexuelle, les droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et assurés. »
Cette définition a le grand mérite de relier une définition positive de la santé individuelle (et pas juste « l’absence de maladie ») avec la question des droits humains. Dans ce cadre, si mon intervention a surtout porté sur les ITSS et le VIH, elle s’inscrivait résolument dans une vision plus globale de la santé sexuelle. J’ai ensuite proposé une définition inclusive de l’acronyme « LGBT »… que le nom du colloque « LGBT+ » me paraissait bien illustrer. Et enfin, une définition de l’hétérosexisme, un enjeu central dans le domaine de la santé sexuelle : l’hétérosexisme, c’est l’affirmation de l’hétérosexualité comme norme sociale, supérieure aux autres. L’hétérosexisme se manifeste dans la vie de tous les jours, par exemple lorsqu’un médecin, un soignant (ou autre) présume du genre de votre/vos partenaires sexuels.
Quelques idées reçues
La présentation s’est poursuivie en explorant quelques idées reçues courantes autour de la santé sexuelle des personnes LGBT. Par exemple, concernant les hommes gais :
– Si les contaminations continuent dans la communauté gaie, c’est parce que certains hommes font n’importe quoi.
– De nos jours, les jeunes gais n’ont plus peur du sida.
Ces idées reçues, fréquentes dans la communauté, ont une caractéristique : elles tendent à blâmer les individus. De ce fait, elles éludent complètement la dimension collective du VIH. Les hommes gais continuent à payer un lourd tribut à l’épidémie, alors qu’ils sont l’un des groupes qui se protège le plus. Seulement, dans une communauté très touchée, avec une prévalence de 13%, et de nombreux hommes qui ne se savent pas encore séropositifs, le risque d’infection est sans commune mesure avec le reste de la population. Il s’agit d’abord d’une injustice sociale et historique, avant d’être un enjeu individuel de « bonne pratique ». Par ailleurs, les nouvelles infections sont diagnostiquées dans toutes les tranches d’âge, remettant en question le mythe d’une jeunesse « vulnérable ». Enfin, et c’est un élément déterminant, malgré plus de 30 ans d’épidémie, la sérophobie reste très élevée au sein de la communauté gaie. Ce déni collectif contribue indéniablement à freiner les efforts de prévention.
Continuons avec les idées reçues…
Les lesbiennes n’ont pas de problèmes de santé sexuelle, car elle n’ont pas de sexualité pénétrative.
Est-il nécessaire de préciser, mais ça va mieux en le disant, que les sexualités lesbiennes sont aussi diverses que toutes les autres ? En terme de santé sexuelle, il faut impérativement se défaire de ce genre de préjugés, car ils empêchent d’orienter les personnes vers le dépistage ou le soin. Par ailleurs, et ça vaut à l’inverse pour les hommes gais, certaines lesbiennes ont (aussi) des relations sexuelles avec des hommes (gais ou hétéros). Mais vu l’accueil qui leur est fait dans beaucoup de lieux de dépistage, peu d’entre elles osent le dire, de crainte d’être étiquetées comme hétéroEs ou biEs. Autant d’occasion manquée de dépister d’éventuelles ITSS. Plus généralement, ce qui ressort des enquêtes et des constats associatifs, ce sont les difficultés majeures vécues par les lesbiennes dans le milieu médical. L’ignorance des soignants pour les réalités lesbiennes est un frein réel à l’accès au soin ; en symétrie, nombre d’entre elles ont des réticences à aller chez le médecin (en particulier le gynécologue), de crainte de (re)vivre des situations de rejet et/ou de discrimination. Entre l’ignorance des soignants et la défiance (souvent justifiée) de beaucoup de lesbiennes, difficile de construire des relations positives avec le milieu du soin…
Autre idée-reçue :
Trans, c’est une orientation sexuelle ça ?
L’acronyme « LGBT » a ceci de problématique qu’il englobe des questions très diverses, de sexualité, de sociabilité et de genre. Autrement dit, au sein même des communautés LGB, certain-e-s ne sont parfois pas très au clair sur le statut du « T » : orientation ? identité ? Commençons en disant que la transidentité, c’est avant tout une question de genre. Parmi les personnes trans, il y a des lesbiennes, des biEs, des hétéroEs, des gais, etc. Bref, l’orientation sexuelle est une autre question et en la matière c’est l’auto-définition des personnes concernées qui compte ! Ce flou sur le statut du « T » a malheureusement des conséquences directes sur la prise en compte des enjeux de santé sexuelle trans : ils sont ignorés dans les recherches, très mal pris en charge dans le monde médical, et marginalisés dans les organismes LGBT et sida. Plus largement, à la différence des LGB, les personnes trans sont loin d’avoir atteint l’égalité juridique et le respect dans cette société : des combats politiques restent à mener pour faciliter le changement d’état civil et dépsychiatriser les processus de transitions. Pour en savoir plus sur la situation au Québec, c’est ici.
Dernière série d’idées reçues :
– La bisexualité, ce n’est qu’une passade !
– Les hommes bis ? On les classe avec les gais, non ?
– Les femmes bies ? On les classe où ?
Si la première idée-reçue est très répandue dans la société. Les deux suivantes ont plutôt été entendues dans le milieu de la recherche : pour les enquêtes auprès des minorités sexuelles, les chercheur-e-s sont souvent bien embêté-e-s par les biEs, ces « inclassables ». De ce fait, les besoins de santé sexuelle des biEs sont très souvent ignorés, comme l’ont bien montré Viviane Namaste et ses collègues dans le cas du VIH. Plus largement, les biEs remettent en question les étiquetage et les catégories bien étanches, dont la recherche et les intervenant-e-s se servent souvent. Dès lors, plutôt que de voir les inclassables comme un problème, sans doute pourrions nous les envisager comme une partie de la solution, afin de repenser les catégories. Autrement dit, plutôt que créer une nouvelle « boite » pour les biEs, discutons du système qui fait que les boites existent, malgré leur caractère réducteur.
VIH, ITSS, LGBT-phobie : de quoi se protège-t-on ?
Passer à travers ces quelques idées-reçues est une bonne entrée en matière, car cela permet de se rendre compte des connaissances qui nous manquent, pour intervenir en santé sexuelle. Mais cela invite aussi les acteurs de santé à éviter de réduire les personnes à leur groupe d’appartenance, leur âge, leur origine, etc. Bref, à se défaire des présomptions hétérosexistes ! Une invitation à penser la complexité des trajectoires et des identités, en fait. Et qui nous permettra d’envisager une approche plus inclusive de la santé sexuelle.
Dans ce cadre, les ITSS et le VIH ne résument pas, loin de là, les enjeux de santé des personnes LGBT. Mais VIH et ITSS constituent un bon révélateur des inégalités sociales de santé qui les concernent. Agir sur ces inégalités nécessitent de prendre en considération différents niveaux :
- structurel, en terme d’inégalités sociales, de reconnaissance juridique, mais aussi de lutte contre les LGBT-phobies
- communautaire, en lien avec l’analyse du contexte épidémique ou des discriminations intra-communautaires comme la sérophobie, la transphobie, le racisme, l’âgisme, etc.
- inter-individuel, si on pense aux rapports de pouvoir dans les couples/les relations, mais aussi aux rapports de confiance, au sentiment amoureux, etc.
- individuel, à travers la construction sociale du désir et des scénarios amoureux, mais aussi les hiérarchies personnelles du risque, en fonction du moment, du/des partenaires…
En fait, il s’agit fondamentalement de penser la connaissance et de reconnaissance des minorités sexuelles et de genre. À la question « de quoi se protège-t-on ? » il est difficile de trouver une réponse simple, car la perception des risques est plurielle.
Quelques pistes pour agir
En faisant un état des lieux des actions/initiatives de santé sexuelle LGBT, on se rend compte qu’il existe déjà beaucoup de choses ! Autrement dit, la question n’est peut-être pas de créer du nouveau, mais plutôt de mieux coordonner l’existant. Petit survol de ce qui se fait de bien, en France et au Québec !
Dans les communautés LGBT, pour commencer :
- Sur le plan des relation patients/médecins, la brochure éditée par l’Association des médecins gays et AIDES Homosexuels, des patients comme les autres ? est un bon exemple d’outil pratique. Bon, on peut quand même lui reprocher son côté « gai-centré », mais l’initiative a le mérite de soulever des points intéressants. Ce qui en ressort c’est qu’il faut s’outiller des deux bords (médecins et patients) pour dire et se dire (en tant que gai, trans, séropo, preneur de risque, etc.)… mais aussi respecter le choix de se taire. La transparence à tout prix, ce n’est pas une solution. Du côté des lesbiennes, plusieurs brochures existent également, mais je citerai la vidéo humoristique et informative réalisée par Yagg et l’INPES en France intitulée Je vais chez le gynéco.
- Au vu de la situation de l’épidémie à VIH dans les communautés gaies et trans, il est urgent de ne pas laisser la séropositivité au placard ! Dans les associations, dans les marche des fiertés, les personnes vivant avec le VIH, leurs amantEs et leurs proches doivent avoir une place visible. Il y a de cela quelques années, l’association Warning a lancé une campagne en ce sens autour de la sérofierté. La même année, Act Up-Paris et AIDES avaient mis de côté leurs désaccords pour faire cortège commun à la marche des fiertés. Des exemples à suivre !
- Dans les communautés LGBT, il est important de prendre en compte la diversité des vécus. La question du vieillissement et de la santé (sexuelle ou non) en est une dimension clé. En ce sens, la recherche action sur les aîné-e-s trans menée par l’équipe de la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’UQÀM et l’ATQ est à saluer. Non seulement elle met l’accent sur des réalités souvent négligées, mais en plus elle offre une palette d’outil pour les intervenant-e-s et les communautés concernées. Plusieurs publications sont déjà disponibles, et le site de l’ATQ rend compte des suites de la recherche.
Du côté des organismes VIH/sida :
- L’un des rôles majeurs de ces organismes, c’est de créer des espaces de solidarité entre personnes séroconcernées (séropos, séronegs et séro-interrogatifs). C’est par exemple ce que le MIELS-Québec contribue à faire au quotidien. Je trouve que leur site internet le met bien en valeur avec les onglets « séropositif » et « séronégatif ». Il ne manque finalement que l’onglet « en relation sérodifférente » !
- Le travail de sensibilisation et d’éducation passe aussi et surtout par un travail d’empowerment. Dans leur domaine, les brochures de l’Association Santé Travesti(s) et Transexuel(le)s du Québec (autrement dit ASTTeQ) sont un modèle du genre. À noter que la brochure Je me réfère, sous-titrée « guide de survie pour les personnes trans au Québec », a un pendant pour les soignants : Je m’engage.
- Pour ne pas laisser la séropositivité au placard… il faut aussi se poser la question de sa visibilité. C’est ce que la COCQ-sida a pris à bras le corps en 2012, en lançant sa campagne : Je suis séropositif. Une excellente initiative, dont on aimerait d’ailleurs bien connaitre les retombées collectives, mais aussi pour les personnes qui ont acceptées de témoigner.
- Enfin, et les organismes VIH/sida le font d’ailleurs de plus en plus : il est important de diversifier les supports d’information. À ce titre, l’application Sexposer du Portail VIH/sida du Québec est un outil qui intéressera plus largement que sa cible, les 16-25 ans. On y trouve des informations sur les ITSS et le VIH, mais on peut aussi y géolocaliser les services de dépistage les plus proches. Une initiative à développer !
Du côté des professionnels de santé maintenant :
- La formation et l’amélioration des services ciblés devrait être une priorité partout. Au Centre de Santé et des Services Sociaux Jeanne Mance, à Montréal, ces questions font actuellement l’objet d’une recherche-intervention passionnante, menée par le chercheur Jean Dumas. La première étape de la recherche a déjà fait l’objet d’une publication. L’objectif pour le CSSS est d’évaluer comment les patients LGBT se sentent accueilli-e-s et d’améliorer leurs réponses. Une enquête quantitative en cours d’analyse permettra bientôt de documenter précisément ces questions. Cela se passe à Montréal, mais l’enquête pourrait être élargie prochainement au reste du Québec.
- Dans un autre registre, la Clinique L’Actuel à Montréal a mis en place un service de notification des ITSS (onglet « Avisez vos partenaires » en haut du site). En fait, lorsqu’on a été diagnostiqué pour une syphilis, par exemple, il est possible d’informer anonymement ses partenaires sexuels récents (si on a leur courriel, évidemment) et de les inciter à se faire dépister. Ce dispositif est une bonne manière d’illustrer que la prise de risque n’est pas seulement une affaire d’individu mais aussi une question de réseau social et sexuel.
- Autre initiative intéressante, l’AMG en France vient de mettre sur pied un site qui permet de trouver un médecin « gay-friendly », en fonction du lieu de résidence et de la spécialité médicale. Si la question des répertoires de médecins est toujours juridiquement complexe, l’AMG a le mérite de se mouiller !
- Enfin, du côté des professionnels de santé, la campagne de l’Agence de la santé et des services sociaux Gaspésie-Iles de la Madeleine est à souligner. En toute simplicité, l’affiche dit beaucoup en terme d’inclusivité des personnes LGBT !
Enfin, ce tour d’horizon ne serait pas complet si on en parlait pas des chercheur-e-s !
De ce côté là, il y a du travail pour penser et mettre en oeuvre des catégories de recherche pertinentes et rester critique quant aux implications politiques des étiquetages ! Dans le débat, une personne a d’ailleurs questionné avec justesse l’utilité d’une catégorie telle que « Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes » (HSH ou HARSAH ici au Québec), qui ne correspond pratiquement à rien en terme d’auto-définition subjective dans la communauté gaie. Dans ce cadre, les chercheurs devrait être plus attentive aux besoins des communautés. Une démarche que la recherche communautaire, très dynamique au Québec, a contribué à populariser.
La santé sexuelle LGBT : une question politique
Ce que démontre cet état des lieux… c’est que beaucoup d’initiatives existent déjà : on n’a donc pas toujours besoin de réinventer la roue à chaque fois ! Mais ce qui manque, au Québec comme en France, ce sont des espaces de mutualisation et de coordination. La mise en place de réseaux ou de centres de santé LGBT pourrait constituer une bonne réponse organisationnelle à ces défis. Mais la santé LGBT est avant tout une question politique : la situation de minorité n’est pas un enjeu de nombre, mais bien un enjeu d’inégalités sociales et d’oppression.
Pour autant, est-ce qu’avoir un médecin LGBT-friendly est la solution miracle ? Sans doute pas, car on peut être friendly et porter des jugements moraux sur tel ou tel pratique. Mais il faut que l’accès à de tels services soit possible pour le plus grand nombre, et élargir ainsi le choix.
Est-ce que la formation des professionnels résoudra toutes ces difficultés ? Sans doute pas, si on ne construit pas en plus un rapport de force qui impose des changements structurels (sur le financement et l’accessibilité des centre de santé LGBT, par exemple), et qui outille les individuEs dans la négociation et le dialogue avec les soignants. On en revient donc à la question de l’empowerment individuel et collectif !
Dans tous les cas, et c’était le fil conducteur de la présentation : il convient d’envisager la complexité et l’hétérogénéité des besoins de santé des personnes LGBT, en terme de conditions de vie, de vécu des discriminations, d’accès aux soins, etc.. Cela ne veut pas dire qu’on est condamné à l’inaction. Mais cela signifie développer concrètement une approche inclusive et non jugeante de la santé. Une démarche qui implique aussi de travailler sur nos propres préjugés et présomptions !