Tibune parue dans La Presse + le 17 mai.
Le récent « coming out » de Jason Collins, joueur de basketball américain de 34 ans, est venu le rappeler : en 2013, évoquer publiquement son homosexualité n’est toujours pas chose facile. Pour lui, c’est une libération, après des années de dissimulation. Pour le monde du sport, c’est un symbole du chemin qui reste à parcourir.
Au-delà de cette situation emblématique, la crainte des insultes, du rejet ou des violences conduit de nombreuses personnes gaies, lesbiennes bisexuelles ou trans (LGBT) à garder le silence. Aujourd’hui, journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie est, comme tous les ans, l’occasion de le rappeler.
En Amérique du Sud, en Europe ou au Canada, on pourrait considérer que « le plus dur » a été fait, grâce aux combats des dernières décennies. Les discriminations légales envers les gais et les lesbiennes n’y ont généralement plus cours et, dans plusieurs pays, les couples de même sexe ont obtenu l’égalité en droit.
S’il faut bien sûr s’en féliciter, l’égalité formelle n’a pas éradiqué les réactions de haine et les violences contre les personnes LGBT. Preuve nous en a été donnée ces dernières semaines.
En France, les débats autour de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ont servi de prétexte au déchainement d’une homophobie qu’on aurait pu croire désuète. Ce climat nauséabond, alimenté par une grande partie de la droite parlementaire et de l’Église catholique, a servi de prétexte à la recrudescence des propos et des actes hostiles aux homosexuels.
La loi sur le mariage pour tous est, heureusement, votée. Mais les débats français sont riches d’enseignements. Si l’homophobie peut prendre des formes subtiles au nom d’un « ordre symbolique » de la filiation ou d’une prétendue « naturalité » de la famille hétérosexuelle, elle n’en est pas moins blessante.
Les gais et les lesbiennes, leurs couples et leurs familles, sont ainsi renvoyés à une bien étrange altérité, une situation de sous-citoyenneté, bien loin des valeurs républicaines. Où l’on s’aperçoit bien que la racine d’une discrimination, c’est le fait de traiter les autres comme inférieurs à soi, dans la loi et dans les faits.
Au Québec et au Canada, la situation n’est pas non plus si rose. Et pourtant, les mêmes droits sont accordés aux gais et aux lesbiennes depuis bientôt 10 ans… On n’y a, certes, pas vu de manifestations de masse contre les acquis des homosexuels. Mais la dernière initiative provinciale contre l’homophobie et la transphobie, rendue publique en mars, a fait couler beaucoup d’encre et de fiel, en particulier sur internet…
La campagne présente des scènes de la vie quotidienne, dans lesquelles l’homosexualité ou la transidentité sont évoquées comme des éléments parmi d’autres de la vie des personnes. Le slogan s’adresse alors à l’auditeur : « Est-ce que ça vous dérange ? » … Un message qui a malheureusement trouvé plus d’une réponse positive. Étonnant – et finalement révélateur – pour une campagne qui visait à la banalisation de l’homosexualité !
De part et d’autre de l’Atlantique, ces expressions d’homophobie simultanées s’expriment de façons bien différentes. Mais l’hostilité bruyante des manifestations françaises et l’anonymat des commentaires haineux de l’internet québécois ne sont-ils pas les deux faces d’une même pièce ? La preuve qu’ici comme là-bas, l’homosexualité n’en finit pas de susciter l’incompréhension, la crainte et le rejet, surtout lorsqu’il s’agit d’un proche. La preuve, également, que tout ne sera pas réglé par les lois.
Tout comme pour le racisme et la xénophobie, il faut prendre au sérieux ces réactions, qui sont aussi le thermomètre de nos sociétés inquiètes. Il n’est pas question d’excuser ou de comprendre ces manifestations de rejet de l’autre. Mais de s’interroger sérieusement sur ce « retour du refoulé » que signe l’homophobie. Un questionnement indispensable pour s’attaquer efficacement à ces violences, réelles et symboliques.
Car la lutte contre l’homophobie et la transphobie est une démarche de longue haleine, qui nécessite des moyens, des programmes d’éducation à large échelle et la mobilisation des premiers concernés.