Je suis un fidèle lecteur du Devoir. Depuis mon arrivée à Montréal, j’ai beaucoup apprécié de pouvoir bénéficier d’un regard différent par rapport à l’actualité « franco-française ». Lecteur assidu du Monde et de Libération en ligne – qui n’évoquent que trop rarement les enjeux québécois – j’apprécie les analyses produites ici sur les réalités sociales et politiques françaises. Et c’est peu dire que l’actualité fut riche cette dernière année : de l’élection présidentielle aux débats sur le « mariage gai », en passant par l’amplification de la crise économique… Ce regard transatlantique est d’autant plus fructueux qu’il opère un déplacement de perspective salutaire.
Autant dire que ma surprise fut grande lorsque j’ai lu les différentes chroniques de Christian Rioux sur les débats autour du « mariage pour tous ». Pour être honnête, la surprise a rapidement cédé la place à l’agacement et la colère face à la vision très partiale et orientée de celui qui est pourtant un observateur « de l’intérieur » de la société française. La lecture de l’article « Goût amer », du 26 avril, me pousse à réagir. C. Rioux a tout à fait le droit de se trouver des affinités avec ces discours des opposants à la loi. Un point de vue que je ne partage pas, loin s’en faut. Mais il est beaucoup plus discutable qu’il utilise, une fois de plus, la légitimité que lui confère son statut (« correspondant à Paris ») pour faire un compte rendu si déformé de la réalité. Car on passe alors de l’article de journaliste à la tribune d’opinion, qui aurait plutôt sa place dans la rubrique « Idées ».
Les raisons de ma colère ? À en croire le texte de C. Rioux, la loi sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe cristallise les tensions entre deux visions de la France. L’une, bobo et moderne, se complait dans un individualisme hédoniste, dont le « droit à l’enfant » serait le dernier avatar. L’autre France, populaire, celle des « perdants » de la loi, est blessée par la crise morale et économique qui touche le pays. On se demande bien d’où sort une telle représentation de la société française ! Et on finit par comprendre que les débats français sont surtout le prétexte de régler des comptes, et d’importer au Québec un débat qu’il regrette de ne pas avoir mené ici. Si c’est le cas, qu’il annonce la couleur et qu’il l’assume… Dans les pages « Idées ».
Les lecteurs et les lectrices du Devoir mérite mieux que ce type de procédé ! Observateur attentif de la société française, partageant régulièrement des points de vue avec des amis et des contacts là-bas, je voudrais partager ici une autre lecture de ces débats. Car loin de ne représenter que la revendication égoïste d’un « lobby » gai le débat a mis en lumière un débat fondamental sur la citoyenneté et l’égalité des droits. Car c’est bien de là que vient la revendication du mariage pour tous. Les mouvements homosexuels ne demandent finalement « que » l’égal traitement pour tous les couples. Ni plus, ni moins. Il n’est pas question de « sublimer » l’amour entre deux hommes ou deux femmes, ni de prétendre subvertir l’ordre sexuel, mais bien de revendiquer un droit à la banalité. Une revendication qui ne s’exprime au détriment d’aucune autre catégorie de la société. Une demande d’égalité, dans la lignée des combats pour les droits civiques des Noirs américains ou des femmes.
Dans une Europe étranglée par la crise, la situation actuelle est lourde de danger. Oui, en France comme en Grèce, l’extrême-droite est à l’affût, et fait feu de tout bois pour déstabiliser l’ordre social. N’en déplaise à C. Rioux, c’est – en partie – cette France là, dans la droite ligne d’une droite populiste capable du pire (« travail famille patrie »), qui était à l’offensive ces derniers mois. Avec le concours complaisant de l’Église Catholique, trop heureuse d’exister à nouveau dans le champ politique, en surfant sur l’intolérance et le rejet. Avec la complicité des élus de la droite parlementaire, pompiers pyromanes, qui n’ont toujours pas compris que les rapprochements avec l’extrême-droite ne font que renforcer les thèses de cette dernière. N’en déplaise à C. Rioux, c’est bien cette agitation qui a légitimé l’homophobie et les violences de ces dernières semaines.
Dans ce contexte, refusant l’image d’une société rabougrie sur ses certitudes hétéronormées, une autre France a fait entendre sa voix. Des centaines de milliers de gais et de lesbiennes ont défendu avec dignité leur droit d’exister comme citoyens à part entière, dans la rue, sur leurs lieux de travail, ou dans les réseaux sociaux. On est loin de l’image des « bobos parisiens », si on se donne la peine d’observer les choses avec impartialité. Mais, et c’est le plus notable : sur toute la durée du débat, une majorité de français a continué envers et contre tout, à maintenir son approbation de la loi à venir. Preuve que la France populaire n’est pas nécessairement celle que veut nous faire croire C. Rioux. Historiquement, ce pays a toujours porté en son sein le pire (le racisme et l’intolérance) et le meilleur (l’aspiration à la liberté, à l’égalité et à la fraternité). Encore une fois, face à des enjeux de société importants, cette dualité s’exprime. Pour le meilleur, ce sont les droits humains qui en sortent vainqueurs.
C. Rioux croit devoir terminer son texte en mettant en parallèle le « printemps érable » et les manifestations hostiles au mariage gai… La mise en parallèle pourrait prêter à rire tant ces deux mouvements portent des aspirations opposées en terme de valeurs. Mais au fond, sans doute ne sont-elles que le révélateur de l’aveuglement idéologique dont est victime l’auteur.
Un mot pour conclure. C. Rioux croit devoir terminer son texte en mettant en parallèle le « printemps érable » et les manifestations hostiles au mariage gai… La mise en parallèle pourrait prêter à rire tant ces deux mouvements portent des aspirations opposées en terme de valeurs. Mais au fond, sans doute ne sont-elles que le révélateur de l’aveuglement idéologique dont est victime l’auteur. La déconnexion des élites et du peuple ne frappe-t-elle pas aussi les éditorialistes ?