[7 janvier : Ce billet a été mis à jour pour répondre aux commentaires qu’il a suscité]. La publication des données épidémiologiques sur le VIH/sida fait partie des « classiques » du 1er décembre. Cette année a été particulièrement riche en France, car en plus des données de surveillance du VIH, les premières données issues de l’Enquête Presse Gay, mais aussi celles du Net Gay Baromètre, sont disponibles. Retour sur quelques points saillants !

En résumé…

Concernant l’EPGL et son volet « gay » (1), beaucoup a déjà été écrit très bien ailleurs. En résumé ? Au plan de la Déclaration de séropositivité, les nouvelles infections baissent de manière générale, sauf chez les gais (mais on a des pistes d’explication, cf plus bas). 2600 infections concernent des hommes gais, soit 42% du total. Dans l’EPGL, on note que 38% des répondants ont eu des relations anales sans préservatif avec un partenaire de statut sérologique inconnu ou différent. Le chiffre montre une augmentation depuis 2004 (date de la dernière enquête), dont l’ampleur est variable selon le statut sérologique — elle est plus marquée chez les répondants séropositifs.

Enfin, 86% des répondants ont effectué un test de dépistage pour le VIH : 17% sont séropositifs, 14% sont séro-interrogatifs (plus certains de leur statut) et 69% sont séronégatifs.

Du nouveau dans les enquêtes auprès des gais ?

Oui, il y a du nouveau !

D’ailleurs, Enquête Presse Gay ? Que dis-je ! Car dans sa dernières édition l’EPG s’est transformée pour devenir l’EPGL, pour Enquête Presse Gays et Lesbiennes. On va donc (enfin) disposer de données quantitatives plus complètes sur les modes de vie des lesbiennes et des femmes qui ont des relations sexuelles avec des femmes (alias « FSF », ah, miracle des acronymes !).

Dans cette édition de l’enquête, plusieurs dimensions inédites ont donc été explorées.

  • C’est notamment le cas de la « dernière relation sexuelle ». L’ambition était d’avoir une photographie quantitative plus fine de la dernière relation : avec qui, comment, et avec quelle prévention ? Les résultats sont très intéressants et ont commencé à être présentés ici. Ce qui en ressort ? C’est que le dialogue entre partenaires autour de la prévention et/ou du statut sérologique reste largement minoritaire, surtout avec des partenaires inconnus. De ce fait, les rapports sans préservatifs peuvent mettre en jeu le « seroguessing » (s’il ne propose pas de capote, c’est qu’il doit être du même statut que moi…) et présenter un risque pour le VIH. Cette investigation de la dernière relation sexuelle est un vrai plus par rapport aux données existantes, espérons qu’on pourra en tirer des leçons pour les messages de prévention.
  • Autre élément nouveau et passionnant, les chercheures de l’Enquête ont élaboré une analyse des comportements de Réduction des risques, en s’appuyant sur trois types de pratiques : le contrôle de l’infection (CV indétectable pour les personnes séropos), le serosorting et le seropositioning. En découle une grille de lecture très instructive… qui montre l’appropriation relativement faible de la RdR chez les séronegs. Si le contrôle de l’infection fait son chemin en tant que « stratégie », et concerne près de 25% des séropositifs, les résultats sont plus limités pour les autres approches. Mais ce focus sur la RdR permet de nuancer notre compréhensions des comportements de prévention, en sortant de la lecture binaire « avec » ou « sans » préservatif. L’analyse est bien expliquée dans l’article du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire !
  • Et puis, comme je le disais précédemment, cette année un volet « lesbiennes » a été ajouté à l’enquête ! On va pouvoir mieux documenter les modes de vie, les conjugalités, mais aussi la place des IST et du VIH dans ces communautés. Le volet a fait l’objet d’une première présentation, mais les analyses plus complètes restent à mener : avis aux chercheures intéressées !
  • De son côté, le chercheur Alain Léobon et son équipe ont publié plusieurs courts rapports d’analyse des données du Net gay Baromètre. Ils ont en particulier mis en ligne des données sur le travail du sexe et sur la sérophobie qui sont très intéressantes. J’aurai l’occasion d’y revenir !

Et dans les données de surveillance du VIH ?

Et là aussi, il y a quelques éléments nouveaux. Pour le meilleur et pour le moins bon…

  • Le constat a déjà été posé et répété : les nouvelles infections sont à un palier, autour de 6400 par an, et ce depuis plusieurs années. Mais parmi elles, les gais représentent à eux seuls 42% des cas. Mais ces chiffres appellent une analyse plus nuancée. Car l’augmentation cette année (+300 nouveaux diagnostics) s’explique assez directement par l’augmentation du nombre de test de dépistage rapide offerts par les associations. On peut donc raisonnablement penser que le déploiement de ces dispositifs de proximité ont permis de toucher des personnes non rejointes par les centres de dépistages classiques. D’où une augmentation sensible des nouveaux cas. La preuve qu’on commence à agir sur « l’épidémie invisible » (= les personnes séropositives qui ne connaissent pas encore leur statut).
  • Enfin, dernier point plus négatif ce ce bilan, la prise en compte des trans. Dans son article sur vih.org, Charles Roncier parle du « principal angle mort » des données disponibles. Malgré la mise en place d’une catégorie dédiée dans la Déclaration obligatoire de séropositivité en 2012, les trans restent invisibles. Un constat qui interroge sur le décalage entre une décision administrative pourtant juste, et le manque de moyens mis en œuvre pour la rendre opérationnelle.

Voilà, c’en est fini de ce tour d’horizon des données. Reste à s’y replonger, à en débattre mais aussi à en tirer des pistes pour l’action de terrain. Les chiffres de l’épidémie mettent en lumière, sans doute plus que jamais, l’hétérogénéité des expériences ordinaires de la prévention du sida, notamment en fonction du statut sérologique. Cependant, il y aurait des analyses à entreprendre pour mieux comprendre la diversité sociologique des profils de répondants. En clair, peut-on extrapoler les résultats de l’EPGL au-delà du gai (ou de la lesbienne) blanc-he, cisgenre, de classe moyenne et vivant en milieu urbain ? D’autre part, il serait intéressant de mieux comprendre les formes de la participation communautaire et des réseaux relationnels/sexuels, notamment avec la place prépondérante d’internet dans les sociabilités gaies (quid des lesbiennes, d’ailleurs ?). Bref, à suivre !

(1) Pour être transparent, je précise que j’ai été membre du comité scientifique du volet gai de l’EPGL, mais je n’ai pas participé aux analyses.

Réponses [mise à jour du 7 janvier]

Ce texte a suscité deux commentaires et des questions, auxquels je vais tâcher de répondre.

  1. Concernant la situation épidémiologique chez les gais. Loin de moi l’idée de minimiser les choses ! Le nombre de nouvelles infections est très alarmant, et traduit une tendance que les actions publiques et associatives ne parviennent pas à inverser. C’est d’autant plus préoccupant que devenir séropo, même en 2013, cela n’a rien d’une partie de plaisir. Les conséquences sont lourdes au plan individuel et relationnel, en particulier au sein d’une communauté où la sérophobie est très présente. Si je n’ai pas écrit cela de manière plus explicite dans mon billet, c’est qu’il me paraissait que ce point de vue est déjà très présent dans les divers articles/analyses vers lesquels je renvoie le lecteur.
  2. Je crois que mettre en relation la hausse des infections et la montée en puissance des dépistages rapides n’est pas une manière de minimiser la situation ! Il s’agit d’une hypothèse explicative avancée par l’InVS, qui me semblait intéressante à souligner. Mais cela reste une hypothèse. Idéalement, si l’on arrive à convaincre les gais de se dépister encore plus fréquemment, il est probable que cela va se traduire durablement dans les données épidémiologiques. Encore une fois, d’accord pour dire que c’est alarmant, mais reconnaissons le bénéfice pour les personnes de connaitre leur statut le plus tôt possible. Je trouvais simplement intéressant, dans cette hypothèse de l’InVS, le fait que pour une fois, les actions de terrain semblent avoir un impact visible sur la courbe des infections, en agissant sur l’épidémie « invisible ». On verra dans les années à venir…
  3. Arlindo soulève également des questions méthodologiques et épistémologiques concernant mon point de vue de chercheur/militant/rédacteur de ce site. Tout d’abord, je voudrais clarifier la diversité de statut des billets que je publie ici. Pour une partie d’entre eux, il s’agit de mettre en ligne et de rendre accessible des textes publiés dans des revues, académiques ou non. Dans ce cadre, ils sont très majoritairement soumis à évaluation (par les pairs ou par l’équipe de rédaction). Ils entrent de ce fait dans des critères d’objectivité scientifique, au sens où leur méthodologie et leur contenu sont soumis à l’examen de regards extérieurs et le plus souvent anonymes. Une autre partie des textes reprend les interventions que j’ai pu faire dans tel ou tel colloque/séminaire. Dans ce cas, il s’agit d’un travail « in progress », discuté publiquement, et leur mise en ligne appelle d’ailleurs à continuer la discussion. Enfin, pour certains des textes publiés ici, il s’agit de « billets d’humeur » ou de compte rendu d’évènements/manifestations auxquels je participe au Québec (plus rarement en France). Dans ce dernier cas, j’assume le caractère très subjectif de mon regard, qui peut parfois s’apparenter à un point de vue plus journalistique, au sens où mon écriture est souvent plus descriptive qu’analytique.
  4. Ces trois modes d’écriture constitue ce que je voulais faire de ce site : rendre compte de mon travail de chercheur (par la mise en ligne de textes académiques ou d’analyse), mais aussi donner un point de vue situé sur la réalité dans laquelle j’évolue. Autrement dit, tous les billets n’ont pas la même assise sociologique, au sens où ils ne relèvent pas tous d’une méthodologie et d’une évaluation externe. L’objectivité sociologique, soit dit en passant, me parait être un idéal inaccessible. Ce qui distingue la sociologie du journalisme ou d’autres formes de mise en récit du monde social, ce sont les méthodes à partir desquelles notre travail peut être évalué/critiqué. Mais la part subjective du regard d’un chercheur (ou d’un groupe de chercheur) est une dimension irréductible de la démarche. L’important, selon moi, c’est d’expliciter au mieux à partir d’où l’on parle, ce que je m’attache à faire dans ma « bio » sur le site, et dans certains billets.
  5. Pour autant, les billets subjectifs qui ponctuent ce site peuvent être lus comme une forme de journal de terrain à ciel ouvert de mon travail au Québec. Toute proportion gardée, car dans un journal de terrain, on ne filtre généralement pas les ressentis/informations/constats. Mais un journal de terrain quand même, car en me relisant, je me rend compte que mon regard évolue et que mes réflexions maturent au cours du temps et d’une meilleure compréhension du contexte québécois. Cette écriture n’est donc une analyse sociologique et n’a pas la prétention de l’être. En écrivant nombre de ces textes, je me sens plutôt observateur en première ligne qu’autre chose.
  6. Concernant le texte dont il est question ici, quelques éléments sur ma démarche. Je l’ai rédigé quelques jours après le 1er décembre, alors que beaucoup avait déjà été écrit sur le sujet. L’objectif ici était plutôt de compiler quelques analyses et articles qui me paraissent pertinents (ce qui relève finalement d’une revue critique de la littérature), et de souligner quelques points qui m’apparaissaient avoir été « oubliés » dans la presse communautaire et généraliste. C’est notamment le cas pour les questions sur « la dernière relation », qui sont une véritable innovation de l’EPGL 2011, ou de celles sur la réduction des risques. Cela dit, en pointant ces enjeux, je ne prétendais pas en donner une analyse complète, surtout dans un format si court. J’aurai, je l’espère, l’occasion d’y revenir plus longuement, notamment dans des textes académiques !
  7. Enfin, pour finir (et poursuivre la discussion ?), que signifie pour moi le terme « organisateur communautaire » ? Je donnerais cette définition, pas parfaite, mais qui résume l’idée : « Les organisatrices et organisateurs communautaires analysent les besoins de la population et agissent comme personne ressource auprès de groupes cibles. Ils conçoivent, coordonnent et mettent en œuvre des programmes d’organisation communautaire afin de répondre aux besoins du milieu et de favoriser son développement ». La définition n’est pas parfaite, car elle oublie le fait qu’un organisateur communautaire peut être partie prenante du groupe au sein duquel il agit ! Le terme est courant en Amérique du Nord, beaucoup plus qu’en France. Notez que j’aurais pu aussi m’auto-définir comme sociologue et militant (ou activiste) pour mettre en avant mon implication dans la gauche radicale en France et au Québec (qui teinte aussi mon regard). J’ai préféré le terme « organisateur communautaire », car il résume bien ce que j’ai appris dans la lutte contre le sida depuis bientôt 12 ans. Entre autres : animer des groupes de paroles, mener des actions de prévention sur des lieux de drague ou construire des mobilisations locales pour les droits des personnes LGBT. Ces dernières années, au sein de AIDES, je me suis beaucoup impliqué (avec d’autres) pour faire émerger les questions trans et VIH dans l’association, afin de créer les conditions d’une meilleure inclusion des trans. En parallèle, je me suis investi dans un groupe « pd cis/trans » entre Lille et Paris. Là aussi, il s’agissait de construire un cadre de militantisme à partir de notre communauté de vécu. Voilà, finalement, ce que j’entends par « organisateur communautaire ». Par ailleurs, je dirais que je réinjecte aujourd’hui ces savoirs-faire dans le milieu de la recherche, en m’attachant (avec d’autres, là encore), à créer des cadres d’échange entre jeunes chercheurs/précaires, souvent isolé-e-s. Au Québec mon implication communautaire dans le domaine du VIH se limite actuellement à la participation au « comité recherche » de l’organisme RÉZO.