« Honteuse ». « Scandaleuse ». La campagne nationale de prévention du VIH lancée il y a quelques jours par le ministère de la Santé n’en finit plus de faire parler d’elle. Les affiches placardées dans toute la France sont d’abord destinées aux hommes gays et bisexuels. Et pour cause : ils constituent l’une des communautés les plus affectées par l’épidémie. Les homosexuels représentent à eux seuls, chaque année, près de la moitié des nouveaux cas d’infection. Avec cette campagne, le ministère tente donc de répondre à une urgence sanitaire, ni plus ni moins. Alors d’où vient le problème ?

Une tribune publiée ce matin sur Le Plus/Nouvel Obs.

Baromètre politique et moral

Un message de santé publique constitue toujours un baromètre intéressant du contexte politique et moral dans lequel il s’inscrit. La prévention du sida en a souvent apporté la preuve : depuis les années 1980, les campagnes de promotion du préservatif ont régulièrement fait l’objet de controverses.

Elles ont souvent été jugées trop timorées par les associations LGBT, car elles invisibilisaient les relations homosexuelles ; elles ont presque toujours été perçues comme trop provocantes par l’Église catholique, qui lui préfère l’abstinence et la fidélité. Historiquement, l’intervention de l’État dans le domaine de la santé sexuelle n’a rien de consensuel. Ce faisant, la santé publique avance donc sur une ligne de crête étroite entre le souci d’information, la lutte contre la stigmatisation et la responsabilisation des citoyens.

Dans ce contexte, la levée de boucliers contre cette campagne de prévention révèle une tendance lourde dans nos sociétés : l’affirmation publique et organisée de groupes de pression moralistes et homophobes. Il n’y a, en soi, pas de grande nouveauté : les mêmes réseaux d’influence ont bataillé contre la capote dans les années 1980, contre le Pacs à la fin des années 1990 ou plus récemment contre le mariage pour tou-te-s, toujours à rebours de l’opinion. Mais cette résurgence trouve encore des relais puissants dans la sphère politique, ce qui est très préoccupant. L’interdiction des affiches par certaines mairies le démontre tristement.

Le visage d’une homosexualité plurielle

Cette campagne est aussi sous le feu d’un autre type de critiques, celles de certains homosexuels. Ces derniers considèrent que les affiches donnent une « mauvaise image », en associant trop étroitement l’homosexualité et le sida. L’argument est là encore ancien. Mais la réalité épidémiologique est malheureusement implacable.

Près d’un gay sur cinq vit avec le VIH en 2016, un niveau statistiquement comparable à celui de certains des pays du Sud les plus durement touchés par l’épidémie. Non, le VIH n’est pas seulement une « maladie d’homosexuels ». Mais les gays continuent d’en porter lourdement le fardeau, individuel et collectif. Ce que ces réticences révèlent, c’est le visage d’une homosexualité plurielle, où les aspirations à la banalisation cohabitent avec la revendication identitaire. Où la norme du couple exclusif s’entrecroise avec des formes diverses de célibat ou de multipartenariat. Cette diversité est une richesse. Et il est temps de la célébrer plutôt que de la déplorer, à l’heure où certains lobbys réactionnaires voudraient renvoyer l’homosexualité au placard.

Une protection tout autant politique que sanitaire

Cette campagne de prévention du VIH est enfin un bon indice de la place des minorités sexuelles dans la société. La santé publique est un domaine de recherche et un champ d’intervention qui vise à prendre soin de la population dans son ensemble. L’irruption du sida, dans les années 1980, a forcé les pouvoirs publics à répondre aux besoins de communautés jusqu’alors marginalisées et décriées.

La lutte contre l’épidémie a été le levier de transformations profondes, dans les lois, dans la prise en charge sociosanitaire ou en terme de reconnaissance sociale. Ces affiches sont à cet égard les héritières d’un bras de fer historique entre l’État et ses minorités sexuelles, avec des hauts et des bas, notamment lorsque le gouvernement de Lionel Jospin censura un message de prévention en 2001. C’est au moment où est diffusée l’une des meilleures campagnes publiques de santé sexuelle que s’élèvent les oppositions les plus farouches. On pourrait y voir un bon indicateur de sa réussite.

Finalement, ces controverses soulèvent une question simple, et à certains égards plus politique : de quoi les homosexuels devraient-ils continuer à se protéger ? Dans le contexte actuel, et à quelques mois d’échéances électorales nationales lourdes de menaces, les réponses pourraient se lire comme un éventail, tant elles sont intimement liées : se protéger des infections sexuellement transmissibles, se protéger des homophobes, se protéger des tentations sécuritaires et racistes, mais aussi se protéger des normativités étroites… Autrement dit : prendre soin de soi et des autres, et tracer des solidarités nouvelles.