Dans le cadre du Forum social mondial, qui s’est tenu à Montréal du 9 au 14 août, j’ai été invité à participer à un atelier sur la santé sexuelle des minoritaires. L’atelier était organisé par le comité « Diversité, Genre et Sexualité » du FSM. Mon intervention a principalement porté sur les inégalités sociales de santé qui affectent les communautés LGBT+. Retour sur les grandes lignes de cette présentation !

Ne nous laissons pas enfermer dans le logiciel (parfois) réducteur de la santé publique et imaginons ensemble ce que pourrait être la santé sexuelle que nous voulons !

Où placer le regard ?

Quand on parle de santé et de santé sexuelle des minoritaires, plusieurs termes viennent spontanément en tête :

  • Risque, prise de risque
  • Vulnérabilité
  • Infection, maladie
  • Transmission sexuelle
  • Insouciance, sexualité débridée/incontrôlable
  • Consommation de drogue, d’alcool
  • Violence

Tous ces termes, je les entends et les lis à longueur de journée en travaillant sur ces sujets. Et honnêtement, ce n’est pas toujours très gai. Un des objectifs de ce texte, c’est de démontrer que si l’on doit envisager ces réalités difficiles, il est aussi important de les situer dans des contextes où le plaisir, l’émancipation et l’épanouissement ont leur place. Autrement dit, on peut parler de santé sexuelle sans la réduire au(x) risque(s).

Ces discours très sombres sur la santé sexuelle ne sont pas surprenants : les minorités sexuelles et de genre sont malheureusement concernées de manière disproportionnées par des risques sanitaires. Quelques exemples :

  • Chez les femmes trans, la prévalence du VIH est très élevée, entre 20 et 40% selon les pays du monde ;
  • Chez les hommes gais (cis et trans), le VIH et les ITSS sont également très présents : le nombre de nouvelles infections ne diminue pas, voir augmente ;
  • Les lesbiennes sont pour leur part particulièrement affectées par différentes formes de cancer, notamment parce qu’elles n’ont pas accès à un suivi gynécologique adéquat.

Une fois posées ces constats épidémiologiques, il y a plusieurs manières d’envisager ces phénomènes :

  1. Une approche moraliste, qui explique que les problèmes de santé des LGBT sont liés à leur mode de vie. C’est une approche culpabilisante, qui met la responsabilité sur le dos des individus, leurs pratiques, leurs consommations, etc. Elle est très présente dans les discours profanes autour de la santé.
  1. Une approche de santé publique, qui met l’accent sur les facteurs de risque et les déterminants sociaux de la santé : environnement social, pratiques à risque, etc. C’est cette approche qui nourrit les discours de prévention actuels : elle est le plus souvent utile, parfois néfaste et à côté de la plaque, comme l’a révélé la campagne transphobe d’Educ’Alcool au Québec. Dans cette approche, on met en avant les changements de comportements des individus et des communautés.
  1. Une approche politique, qui met en avant les dimensions structurelles des situations et des enjeux de santé vécus par les communautés LGBT. C’est une approche qui s’intéresse aux conditions sociales et politiques de la santé : les inégalités sociales, la précarité, le sexisme, l’hétérosexisme, la transphobie, le racisme, etc, mais aussi, le contexte légal (la criminalisation du VIH, du travail du sexe et/ou des modes de vie LGBT+), l’accès à la prévention et aux soins. Dans cette approche la santé est vue comme l’un des domaines clés où s’exercent les oppressions.

Sans surprise, c’est sur ces deux dernières approches — qui se différencient sans s’opposer fondamentalement — que je me pencherai plus particulièrement.

Quelle lecture politique des inégalités sociales de santé ?

Pour envisager la santé sexuelle des communautés LGBT+, on gagne à s’appuyer sur un modèle d’analyse et d’intervention à quatre dimensions : structurelles, communautaires, relationnelles et subjectives. 

Dimension structurelle

Au niveau structurel, on sait que les systèmes d’oppression sont des facteurs très défavorables à la santé des minoritaires.

  • D’abord en terme d’accessibilité à des services de santé adaptés à nos réalités de genre, de sexualité, de corps, et à des professionnels respectueux de nos identités et nos pratiques. Ça paraît aller de soi, mais dans ce domaine il reste beaucoup à faire : en dehors du centre-ville de Montréal, où sont les cliniques de santé sexuelle adaptées aux réalités LGBT ?
  • Sur le plan des conditions matérielles, l’enjeu est aussi celui du système de santé dans son ensemble : sans un système de santé public, gratuit et accessible, les inégalités de santé se creusent, notamment pour les minorités sexuelle et de genre.
  • Sur le plan symbolique, avec la main-mise des médecins et des professionnels sur la santé sur les décisions médicales, même si beaucoup de choses ont changé depuis l’épidémie de sida. Sans contester leur légitimité professionnelle, il est bon de rappeler que les enjeux de santé des minoritaires doivent être l’affaire des minoritaires eux/elles-mêmes.
  • Mais l’oppression structurelle, c’est aussi l’effacement de certaines réalités : les trans, les bisexuels et les personnes intersexuées sont très largement invisibilisées dans les études épidémiologiques et dans les recherches. On sait pourtant l’importance de documenter ces expériences pour développer des interventions de prévention pertinentes. En santé publique, pour compter il faut pouvoir se compter.
  • Et puis finalement, l’oppression structurelle s’infiltre également dans nos corps et nos expériences de vie les plus intimes : grandir dans des environnements sexistes, homophobes, transphobes, lesbophobes, racistes a des conséquences très fortes sur la santé mentale et le bien-être.

Mieux articuler ce lien entre oppression et santé mentale est un enjeu majeur pour la santé des minoritaires !

Dimension communautaire

Le niveau communautaire est un niveau clé pour les questions de santé des communautés LGBT+. Au Québec, en particulier, la santé communautaire est très développée et reconnaît le rôle décisif des communautés locales pour la santé. Mais…

  • Les communautés sont des espaces hétérogènes, et donc aussi traversés par des divisions et des fractures : genre, âge, racisme, image corporelle, statut sérologique, etc. Ce qui devrait être un espace protecteur est pour beaucoup de LGBT+ un lieu où ils vivent du rejet, des discriminations et de la violence. Beaucoup d’ailleurs ne se sentent pas appartenir à une communauté (c’est leur droit !).
  • Pour autant, les communautés sont aussi des espaces de résistance et de solidarité potentielles. La mobilisation contre le VIH/sida en est la preuve et un bon exemple historique : entraide, soutien social, hébergement et accompagnement des malades, prise en charge de la prévention, etc.

Bref, s’il ne fait pas idéaliser les communautés lorsqu’on pense aux inégalités de santé, ce sont des espaces d’intervention et de mobilisation incontournables !

Dimension relationnelle

Troisième niveau : le niveau relationnel. Ce n’est pas nécessairement celui auquel on pense le plus pour la santé des minoritaires, mais il est pourtant très important.

  • Les relations, il faut les envisager au sens large : parents, ami-e-s, amant-e-s, relations affectives, relations sexuelles, etc. Ces interactions définissent très fortement notre quotidien.
  • On pourrait résumer ces dimensions relationnelles autour d’un mot, à la fois très beau et très complexe : la confiance.
  • C’est la confiance qui fait qu’on peut se laisser aller, rire, pleurer, vivre des émotions, etc.. C’est la confiance qui fait qu’on peut surmonter certaines difficultés liées aux oppressions qu’on vit. Mais c’est aussi la confiance qui fait qu’on va prendre certains risques pour sa santé (par exemple avoir du sexe sans capote !). De nombreuses contaminations pour le VIH ont lieu dans des couples stables (et « exclusifs ») qui se font confiance, mais n’arrivent pas à se parler de certains sujets. L’idée n’est évidemment pas de rejeter la confiance : elle est fondamentale dans les relations humaines, elle est une dimension irréductible de la sexualité !
  • Par contre, on gagnerait à travailler, individuellement et collectivement, à ces enjeux relationnels : comprendre, nommer et déconstruire certains rapports de pouvoir dans nos relations ; se donner des espaces de parole sur ces sujets ; faire de la confiance en soi et dans les autres un enjeu d’apprentissages collectifs et de débats communautaires.

Dimension subjective

Dernier niveau de ce « modèle », c’est le niveau subjectif. Précisons d’abord : je ne suis pas psy, et c’est donc une approche sociologique et politique de la subjectivité que je propose ici (d’autres sont possibles) !

  • dans le champ de la santé sexuelle, comme dans d’autres, le niveau subjectif condense tous les autres : comme individu, dans notre intériorité, on est façonné par ces dimensions structurelles, communautaires et relationnelles. Mais chacun de nous est une version singulière et unique de toutes ces dimensions.
  • Le niveau subjectif, là où il me paraît très important, c’est parce que c’est le lieu de la prise de conscience, de la conscientisation des inégalités sociales de santé et de l’oppression. La prise de conscience n’est pas un outil magique, ça ne résout pas tout, et même (parfois) être lucide sur les oppressions qu’on vit, c’est épuisant…
  • Mais le niveau subjectif, dans toute sa singularité, c’est aussi le niveau où s’élaborent nos scénarii de plaisir, d’excitation, de désir, avec les autres (ou pas), avec des produits (ou pas), d’ailleurs.
  • L’un des nœuds actuels en termes de santé sexuelle, réside là : comment activer des mécanismes de prise de conscience des risques, mais sans approche culpabilisante. Mais aussi comment aménager des espaces d’engagement politique qui laisse de la place aux subjectivités ?

Deux pistes de discussion

Pour conclure, je voudrais tracer deux pistes qui me paraissent intéressantes pour engager une discussion politique renouvelée autour de la santé et de la santé sexuelle des minoritaires.

  1. La première concerne notre capacité à lutter ensemble. C’est toujours un défi de vouloir prendre dans un même cadre les enjeux « L-G-B-T », et les différentes oppressions qui structurent ces groupes/communautés. Cet agenda collectif est à écrire ensemble.
  2. La seconde concerne la question du plaisir. C’est une dimension qui me paraît incontournable si on veut envisager une approche politique et émancipatrice de la santé sexuelle. Autrement dit, ne nous laissons pas enfermer dans le logiciel (parfois) réducteur de la santé publique et imaginons ensemble ce que pourrait être la santé sexuelle que nous voulons !

Un grand merci aux animateurs-trices du comité Diversité Genre et Sexualité du FSM pour leur invitation au débat !