Ce 1er février, Anne Hidalgo, la maire de Paris, présentait publiquement le rapport « Vers Paris sans sida », dirigé par la chercheure France Lert. Le document propose une feuille de route audacieuse pour atteindre les objectifs « 90/90/90 » à Paris d’ici 2020, soit : 90% des personnes séropositives connaissant leur statut sérologique ; 90% des personnes dépistées sous traitement ; et 90% des personnes traitées avec une charge virale indétectable. Comme New York et de nombreuses autres villes dans le monde, la mairie de Paris se dote d’une réponse politique concertée face au VIH. Et à Montréal, c’est pour quand ?

Des besoins différents ?

Certes, me rétorquera-t-on sans doute, Montréal n’est pas Paris en termes épidémiologiques. Au Québec, l’Institut national de la santé publique (INSPQ) soulignait d’ailleurs en 2014 que le nombre de nouvelles infections est en baisse depuis 2008. D’environ 400 nouveaux diagnostics par an entre 2003 et 2008, on est passé à une moyenne de 330 par an entre 2009 et 2013.

Cependant, derrière ces chiffres bruts l’épidémie reste très active, en particulier chez les hommes gais et bisexuels. Ces derniers regroupent 226 nouveaux diagnostics annuels en 2013 — les deux tiers à Montréal — avec une légère tendance à la hausse chez les 15-24 ans. Depuis 2002, les « hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes » représentent à eux seuls 71% des nouveaux cas diagnostiqués au Québec. On estime par ailleurs qu’à Montréal 13% des hommes gais/bisexuels vivent avec le VIH, soit une prévalence très importante.

Si Montréal n’est pas Paris, ni New York, la réduction du nombre de nouvelles infections reste une priorité ! Car les effectifs de nouvelles infections sont relativement « modestes »… mais sont extrêmement concentrés dans une même communauté.

Les outils existent

Pour mener à bien cette réponse politique au VIH/sida, les outils sont bien connus : préservatifs, dépistages, traitements, défense des droits, ouverture de salles d’injection supervisées, auxquels s’est ajoutée récemment la Prophylaxie pré-exposition pour les personnes séronégatives exposées au risque. Pour décrire cette offre, on parle désormais de « prévention combinée ». Il existe un large consensus autour de la nécessité d’un suivi de santé sexuelle inclusif pour les communautés les plus touchées par le VIH.

Les acteurs de la mise en œuvre et du suivi de ces outils sont également clairement identifiés : les organismes communautaires, le Ministère, l’INSPQ, les centres de santé et de services sociaux, les direction de santé publique, les cliniques, les pharmacies, etc. À Montréal, en particulier, l’offre de service est très diversifiée. Mais elle reste mal connue des principaux concernés, comme l’a révélée la cartographie établie par Michel Martel et l’équipe de Joanne Otis à l’UQAM !

Enfin, soulignons que le Québec est doté d’un certain nombre de très bons plans de santé publique qui tracent les contours d’une réponse concertée… Mais sont-ils lus par les décideurs ? Je pense par exemple au Plan stratégique 2015-2020 du Ministère de la santé et des services sociaux, qui place le dépistage des ITSS comme une priorité ; ou au Programme national de santé publique 2015-2020, qui pose explicitement que :

Certains groupes de la population sont plus touchés que d’autres, soit à cause de leur vulnérabilité sociale, soit parce qu’ils adoptent des comportements ou des habitudes de vie plus risqués. Ainsi, les services sont définis de manière à mieux répondre aux besoins de l’ensemble de la population, mais avec une intensité plus grande dirigée vers les groupes vulnérables au regard des ITSS

Plus ancien, mais toujours pertinent, le rapport sur « L’épidémie silencieuse » suggérait en 2010 de « revoir les façons de faire ». Une recommandation difficile à mettre en oeuvre sur la durée, cependant, alors que le réseau de la santé fait face à une (nouvelle) réorganisation…

Et la volonté politique ?

C’est là où le bât blesse. Les outils sont disponibles, les stratégies sont sur la table… mais où est l’impulsion politique ? Sur le terrain, le tableau est plutôt sombre : le milieu communautaire et le réseau de la santé se débattent dans un contexte d’incertitudes et d’austérité budgétaire.

Dans le même temps, les projets de recherche se multiplient autour des enjeux de santé sexuelle et de prévention des ITSS. Au point qu’aujourd’hui l’innovation en santé publique est portée, avant tout, par la recherche ! Rien de mal à cela. Mais si l’on veut penser des réponses durables et structurées, les projets de recherche doivent inscrire leurs retombées dans le droit commun. Faut-il tout attendre du gouvernement du Québec ? Pas certain.

Répondre efficacement au VIH/sida à Montréal (et ailleurs), cela devrait impliquer un positionnement fort des municipalités, en concertation avec les autres acteurs. Comme le démontre l’expérience du Réseau des villes et villages en santé, l’implication des acteurs locaux est un atout formidable. Et un leadership municipal sur le VIH permettrait peut-être de sortir des guerres de clochers qui affaiblissent trop souvent les projets ? Certes, la santé sexuelle n’est pas a priori dans le champ de compétence des municipalités… mais pourquoi ne pas penser en dehors du cadre ?

À Montréal, le projet Mobilise! pourrait constituer la colonne vertébrale de cette mobilisation plurielle, et un modèle transposable ailleurs. Mobilise! propose en effet un processus original qui allie recueil des besoins et projet de transformation sociale.

« Montréal sans sida » : et si on commençait à l’écrire aujourd’hui ?


Précision utile : je suis membre du comité de pilotage de Mobilise!, mais le point de vue exprimé ici n’engage que moi.