En novembre dernier s’est déroulé à Québec le colloque « Les négligé-e-s de la marge », organisé par l’organisme GLBT-Québec. J’ai déjà eu l’occasion de rendre compte de la session « Santé sexuelle ». Mais il convenait de revenir sur les autres table-rondes ! Le compte-rendu ci-dessous est une analyse à deux voix, écrite avec ma collègue et amie Élise Marsicano, et publié initialement sur le Carnet Hypothèse du Réseau des jeunes chercheurs sciences sociales et VIH/sida.

les avancées sociales pour les gays et les lesbiennes ne se traduisent pas mécaniquement pour toutes les populations. Et l’égalité des couples, acquise depuis dix ans, n’épuise pas, loin s’en faut, la question des droits des minorités.

Retour sur un colloque

En Europe comme en Amérique du Nord, les personnes Lesbiennes, Gays, Bi-e-s et Trans restent très fortement concernées par le VIH/sida et les IST. Difficile de comprendre cette situation sanitaire sans envisager les contextes sociaux, légaux et culturels dans lesquels évoluent ces minorités diverses. Une démarche rendue d’autant plus nécessaire à l’heure où l’accès à égalité formelle (le « mariage pour tou-te-s ») ne doit pas masquer les combats qui restent à mener pour l’égalité réelle.

C’est tout l’intérêt du colloque sur les « négligé-e-s de la marge », organisé à Québec début novembre 2013, d’avoir mis la lumière sur ces enjeux. En effet, au Québec, l’égalité des droits est une réalité depuis près de dix ans, du moins pour les couples de même sexe. Mais dix ans après où en sont les combats LGBT ? Et quelle est la situation des « négligé-e-s de la marge » que sont les minorités au sein des communautés LGBT ? Ces questions étaient au cœur du colloque organisé par l’association GLBT-Québec.

Égalité ?

Premier constat partagé : les avancées sociales pour les gays et les lesbiennes ne se traduisent pas mécaniquement pour toutes les populations. Et l’égalité des couples, acquise depuis dix ans, n’épuise pas, loin s’en faut, la question des droits des minorités. Les enjeux trans illustrent bien les limites de ces avancées : pour elles et eux, les enjeux de reconnaissance sociale et juridique ne se structurent pas uniquement autour du couple (1). Et les sessions portant sur les aîné-e-s LGBT et sur les minorités racisées se sont faites l’écho des inégalités d’âge et de race en invitant à les considérer comme des lignes de fractures au sein des communautés.

Un autre type d’inégalités, plus rarement appréhendées, sont celles liées au territoire. Si de nombreux LGBT migrent vers les grandes villes, qu’en est-il de celles et ceux qui restent? De ceux et celles qui s’installent dans des régions rurales ? Une session était consacrée à ces questions. Les intervenant-e-s ont souligné les nombreux aspects positifs de leur situation, sans occulter pour autant les difficultés propres à ces espaces. Devenant parfois des gays et des lesbiennes « de références », susceptibles de constituer une aide pour des personnes en questionnement sur leur orientation sexuelle, ils et elles jouent alors un rôle à ce titre dans leur communauté locale, loin de représentations souvent négatives associées au fait de vivre en région.

Quelles visibilités ?

La visibilité constitue toujours un enjeu politique et de santé sexuelle central – que l’on pense à ce qu’elle représente pour les trans, absent-e-s des enquêtes de santé publique. Mais la visibilité doit néanmoins être interrogée. À travers les expériences des minorités racisées, se pose par exemple la question de l’injonction au coming-out qui est très forte dans le mouvement gai : présentée comme un facteur d’émancipation et de construction d’une homosexualité épanouie, cette norme du dévoilement peut être très complexe pour les personnes concernées. Pour certains, les formes d’affirmation prennent d’autres voies : une intervenante d’origine haïtienne racontait ainsi le succès des réunions dans des espaces privés, par exemple, dans des appartements. Pour beaucoup de personnes LGBT issus des Caraïbes vivant à Montréal, ces réunions combinent la nécessité de se retrouver entre soi, la rupture de l’isolement et la discrétion. Une stratégie pas toujours bien comprise au sein du mouvement LGBT, mais qui permet d’accueillir plus de monde, et constitue pour certain-e-s, une première étape avant l’affirmation auprès de sa communauté d’origine.

Une population particulièrement invisible, c’est celle des aînés LGBT, qui pose plus généralement la question de la place des personnes âgées dans la société. Les constats tirés d’une enquête et d’une expérience de terrain auprès d’aîné-e-s LGBT ont permis de caractériser des situations souvent inacceptables: le déni des acteurs de santé, la violence et les discriminations, l’homophobie… qui ont des conséquences très négatives sur le bien-être des ainé-e-s, qui renoncent parfois à parler de leur orientation sexuelle, leur genre ou qui cachent leur parcours. Dans des sociétés caractérisées par des discriminations âgistes et homophobes, comment vieillir en tant que gay ou lesbienne ? Le grand intérêt de cette session a été d’aborder le vieillissement comme le résultat d’une socialisation antérieure et pas seulement comme une situation de vulnérabilité. Comme l’ont rappelées intervenants, un gai ou une lesbienne né-e en 1940a vécu 20 ans en étant considéré-e comme criminel-le, 30 ans considéré-e comme malade mentale… et n’a vu sa relation de couple légalement reconnue qu’à l’âge de 60 ans. La notion d’homophobie intériorisée trouve ici toute sa pertinence. Et d’ailleurs, un certain nombre d’ainé-e-s ne se définissent même pas comme gays ou lesbiennes et/ou ont vécu une partie de leur vie en tant qu’hétérosexuel-le-s. Le vieillissement constitue bien un enjeu transversal, trop souvent délaissé au sein des communautés LGBT.

Quelle(s) communauté(s)?

Ces différents constats invitent à interroger la notion de communauté et sa cohésion présupposée. Qui y est inclus, qui en est exclu? Quelles solidarités sont possibles ? Pour les personnes âgées, il s’agit d’une question très concrète : faut-il se lancer dans des projets de maisons de retraite LGBT-friendly ? Dans les débats, un consensus émerge : il est nécessaire d’élargir l’offre actuelle, pour que les personnes aient plus de choix. Pour s’en convaincre, le parallèle avec d’autres minorités, culturelles en l’occurrence, est éclairant. À Montréal, il existe par exemple des maisons spécifiques pour les ainé-e-s de la communauté issue de l’immigration italienne. Pour autant, certaines personnes âgé-e-s italophones n’ont simplement aucune envie de se retrouver dans cet entre-soi !

La question de la communauté soulève aussi celle des solidarités entre L, G, B et T. Quelles alliances sont possibles ? Qui est légitime pour parler ? À quelles conditions ? Dans ce contexte, la notion « d’allié-e » – les personnes n’appartenant pas au groupe concerné mais pouvant constituer des appuis ponctuels ou durables – était au cœur des discussions. Les groupes minoritaires sont pris dans un mouvement complexe, entre la nécessité de se retrouver autour d’une expérience commune et celle de créer des ponts avec les autres réalités.

Le constat des discriminations multiples vécues par les minorités racisées a fait consensus parmi les représentants des associations concernées, et ce au-delà de la diversité de leurs origines géographiques (Liban, Amérique Latine et Haïti) et de leurs vécu au Québec. Il est loin d’être évident de se sentir appartenir à une communauté LGBT, dans laquelle existent et se reproduisent différentes formes de racisme qui vont de l’exotisation des corps non-blancs au rejet en passant par les stéréotypes ethnosexuels.

Sortir des modèles de la sexualité et de la conjugalité ?

En filigrane de cette journée sur les minorités des communautés LGBT, un modèle d’homosexualité se dessinait en creux, calibré par l’homme gay blanc, trentenaire, de classe moyenne. Un modèle dominant qui semble délimiter les identités acceptables de l’homosexualité contemporaine, et ce dans sa version conjugalisée (le mariage, la parentalité) comme dans sa version plus sexualisée (le célibataire actif sur le marché sexuel).

À en croire les différents intervenants, cette normativité gaie participe à la marginalisation et l’invisibilité des « autres » que sont une partie des lesbiennes, les trans, les ainé-e-s, les plus pauvres, les personnes migrantes… Quelle reconnaissance en effet pour ceux et celles qui ne veulent pas se marier, pour ceux et celles qui sont hors du marché du sexe, parce qu’ils en sont sortis ou qu’ils n’y ont jamais été ?

Cette journée se caractérisait à la fois par la diversité des sujets appréhendés, la richesse des interventions et la qualité des débats. Deux sujets n’ont pu être traités, le handicap et les populations autochtones, faute d’avoir trouvé des intervenant-e-s pour animer ces sessions. Un seul regret à la fin de cette journée : la faible prise en compte des inégalités de genre. Cela aurait probablement permis d’affiner certains questionnements, que l’on pense à la sexualisation différentielle des communautés gays et lesbiennes, de l’articulation du racisme et du sexisme (et de l’homophobie, bien-sûr), et des combats, pas toujours convergents, des femmes et des hommes trans.

Si la question de la santé sexuelle et de la prévention du VIH n’était abordée que dans un atelier, ce colloque est riche d’enseignement pour la santé publique. Car comprendre l’évolution des contextes sociétaux des personnes LGBT est une clé de lecture indispensable pour comprendre leurs situations de santé.

Élise Marsicano, Gabriel Girard

Note

(1) Au Québec, pour obtenir le changement d’état-civil, les personnes trans doivent être majeur-e et détenir la citoyenneté canadienne et, jusqu’à très récemment, être stérilisées (et subir une hystérectomie pour les hommes trans). Plus d’infos ici.