Voici donc une seconde chronique estivale… sur un sujet qui m’est cher : le métro, ses lignes, son tracé et son histoire. J’ajouterai : ses odeurs diverses, ses ambiances, ses stations (fantômes), et ses visages furtifs ou (plus rarement) familiers. J’aime beaucoup le métro à Paris.

Metro-Paris-1914

Mais cela dit, je n’ai rien contre le bus et le tramway — en particulier la ligne de Tram entre Porte de Vincennes et Porte de la Chapelle, que j’ai découverte au gré de mes derniers séjours parisiens. Il s’agit d’une passion un peu bizarre, j’en conviens, mais finalement assez commune, si l’on en croit la bibliographie abondante sur le sujet. Et qui sert parfois de support aux divagations politico-historiques les plus discutables ! Cf. « Le métronome » de Lorant Deutsch, et les critiques légitimes que cela suscite chez les historiens, ici et . [NB : j’ai lu les critiques, mais pas le livre].

Comme j’aime le métro et ses tracés complexes et enchevêtrés, porteurs de milles histoires (petites ou grandes), j’avoue avoir été un (tout petit) peu déçu en arrivant à Montréal… où le métro ne comporte que 4 lignes. Qu’à cela ne tienne, j’ai lu, parcouru et observé, et je crois pouvoir dire que j’aime aussi beaucoup le métro montréalais (sauf quand il s’arrête intempestivement pour une durée inconnue, mais ça arrive aussi ailleurs !).

Des tracés politiques

Politiquement, le métro est intéressant, en ce sens qu’il matérialise des rapports sociaux, à bien des égards. Par exemple, emprunter la ligne 2 (à Paris), de Nation à Porte Dauphine, c’est effectuer un véritable voyage (non linéaire) le long de l’échelle sociale de la population parisienne, des quartiers bobos aux arrondissements les plus bourgeois, en passant par les quartiers les plus populaires… Au rythme des stations, les entrées et les sorties offrent des instantanés de vie qui mériteraient une micro-sociologie ! Très récemment, quelques étudiants d’une École d’info-com ont mis en forme une carte interactive passionnante, qui permet « d’objectiver » station par station, l’environnement sociologique du métro : niveau de revenu, de diplôme, votes au second tour de la présidentielles… Tout y passe ! L’an dernier, la RATP a elle aussi mis en ligne certaines de ces données statistiques. Voilà donc le support quantitatif pour des enquêtes de terrain…

Metro-Montreal-2013

À Montréal, c’est une autre histoire. Comme l’explique très bien l’auteur de ce site (découvert en écrivant cette chronique), ce que donne à voir le métro ici, c’est plutôt l’emprise totale du marché (de l’automobile) sur les choix effectués dans les transports publics. Ainsi, à peine cinquante ans en arrière, Montréal disposait d’un réseau de Tramway très développé. Tout a été démantelé, et les lignes de Métro actuelles sont loin d’offrir une couverture aussi complète. On parle de choix budgétaires et politiques… Si la Ville s’est depuis reportée sur la promotion du vélo, l’absence d’un réseau de transports en commun publics suffisamment développé se fait vraiment sentir (surtout l’hiver !). Et encore, Montréal est l’une des villes les mieux loties d’Amérique du Nord !

Les sociologues dans le métro ?

On pouvait s’en douter, les sociologues se sont inspirés du métro. À commencer par le plus célèbre d’entre eux, Pierre Bourdieu. Dans l’un de ces articles — L’illusion biographique — Bourdieu utilise en effet la métaphore du réseau des stations dans sa démonstration :

Essayer de comprendre une vie comme une série unique et à soi suffisante d’événements successifs sans autre lien que l’association à un «sujet» dont la constance n’est sans doute que celle d’un nom propre, est à peu près aussi absurde que d’essayer de rendre raison d’un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c’est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations. Les événements biographiques se définissent comme autant de placements et de déplacements dans l’espace social, c’est-à-dire, plus précisément, dans les différents états successifs de la structure de la distribution des différentes espèces de capital qui sont en jeu dans le champ considéré. (Pierre Bourdieu)

Jean-Claude Passeron discute finement ce modèle — en y ajoutant une réflexion sur les autobus — dans un article de 1989 intitulé Biographie, flux, itinéraires et trajectoires. Cela me rappelle d’une longue discussion avec ma directrice de thèse il y a de cela quelques années sur, justement, le métro comme métaphore pour représenter les trajectoires sociales. Nous en avions discuté, moins comme modèle structurel, mais plutôt comme une représentation possible des parcours biographiques — et donc aussi des bifurcations, des changements de « ligne » — et des facteurs sociaux qui contraignent les rencontres.

Stations fantômes

Les stations fantômes me fascinent particulièrement. De quoi s’agit-il ? De station creusées et (parfois) aménagées, mais jamais utilisées et/ou abandonnées pour de multiples raisons. Lorsque l’on passe sans s’arrêter dans l’une d’elle, on aperçoit parfois brièvement les vestiges de vieilles affiches, ce qui renforce l’aspect fantomatique, comme issue d’un autre temps. Je pense en particulier à la station « Arsenal », située entre le Quai de la Rapée et Bastille, sur la ligne 5.

Metro-Paris-1930

Les stations fantômes (du réseau RATP) m’évoquent, de manière indirecte, la place des disparus dans nos vies. S’ils ne sont plus là, leur présence reste significative dans le quotidien. Ils et elles demeurent présent en orientant le tracé de nos vies… un peu comme les stations de métro fantômes, finalement. Cela me fait penser à la la notion de « shadow network », entendue il y a quelques années, dans un séminaire de recherche. Une notion employée alors comme un outil pour analyser la manière dont les morts restent présents dans l’environnement des vivants, notamment après des catastrophes meurtrières comme Katrina à la Nouvelle-Orléans. Mais à ce jour, je n’arrive pas à mettre la main sur une référence précise de cet usage de « shadow network » (évoqué par Anne Lovell, si ma mémoire est bonne) !

Bibliographie estivale

Pour terminer, quelques conseils de lecture sur tout ces sujets, et puisque c’est l’été :

  • Sur le métro parisien, mon livre préféré : Métro insolite, de Clive Lamming, aux Éditions Parigramme
  • Sur le métro à Montréal, j’ai lu celui-ci : Montréal en métro, aux Éditions Ulysse
  • Sur la sociologie de Paris : Sociologie de Paris, de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, aux Éditions La Découverte
  • Et pour une histoire sociale de Paris, je conseille vivement : L’invention de Paris, d’Éric Hazan, aux Éditions du Seuil