Un court billet pour vous raconter trois moments qui ont entourés la journée mondiale de lutte contre le VIH/sida à Montréal cette année. Un premier décembre à trois temps, finalement !

Un temps pour débattre

Le 23 novembre, la COCQ-sida, RÉZO et les responsables de l’essai IPERGAY à Montréal organisaient un brunch/débat sur les nouveaux enjeux de la prévention du VIH/sida chez les hommes gais. Intitulé « Tous les gais devraient en parler », l’initiative visait à informer mais aussi à consulter les communautés concernées sur les transformations de la gestion du risque, en particulier autour de la notion de « prévention combinée ». Si l’assistance n’était pas aussi étoffée qu’espéré, la qualité des contributions et des échanges étaient au rendez-vous.

J’ai particulièrement apprécié la présentation de Michel Martel, étudiant à la maitrise à la Chaire de recherche en éducation à la santé de l’UQÀM. Basée sur une cartographie qualitative des services de prévention et de santé sexuelle destinés aux gais à Montréal, son intervention partait d’une question simple mais épineuse : une approche de prévention combinée est-elle envisageable à l’échelle de la ville ? Ce que montre la cartographie, c’est que les conditions objectives sont réunies : près de 90 services sont offerts actuellement (cliniques spécialisées, services de dépistage, groupes de parole, action de terrain, etc.) ! De nombreuses questions se posent cependant, notamment en terme d’accessibilité, car la grande majorité de l’offre se situe dans le Village…

Mais Michel Martel, à l’issue de sa présentation, propose une conclusion relativement pessimiste. Selon lui, si le nombre de services est bel et bien à la hauteur des besoins, la cartographie démontre un manque criant de coordination entre les acteurs ! Le travail « en silo » caractérise trop souvent les actions de prévention et de santé sexuelle, amoindrissant leur efficacité et leur portée. De plus, cette faible coordination ne permet pas d’identifier correctement les besoins non couverts par l’offre actuelle. Alors la prévention combinée disponible à Montréal ? Oui, mais il reste du travail ! À ce titre, l’exemple de l’Ontario — la province voisine — est intéressant, où le portail Santé Arc-en-ciel joue ce rôle de coordination et de pilotage indispensable. On a hâte que les données de la cartographie montréalaise soient publiées !

Le brunch s’est poursuivi avec un échange autour des questions de Prophylaxie Pré-Exposition (PPrE) qui m’a, je dois l’avouer, laissé sur ma faim. Trop souvent focalisé sur l’essai IPERGAY, malgré les tentatives d’ouverture de Cécile Tremblay et David Thompson, la discussion est à mon sens passé à côté d’une question majeure : comment intégrer les différentes offres de PPrE actuellement disponibles au Québec dans le dispositif global de prévention ?

Un temps pour comprendre

Autre débat, autre cadre, puisque c’est à l’hôtel du Gouverneur que se déroulait le 29 novembre la rencontre « Santé sexuelle, vulnérabilité et résilience : brisons les tabous », organisée conjointement par l’association Arc-en-ciel d’Afrique, le Portail VIH/sida du Québec, l’UQÀM, et la clinique l’Actuel. La rencontre était l’occasion de présenter les premiers résultats d’une recherche communautaire qualitative, « Les branchés », menée auprès des hommes africains et caribéens gais, bisexuels et Harsah.

Réjean Thomas, le fondateur de la clinique l’Actuel a présenté les nouveaux défis de la prévention du VIH/sida, introduisant avec une grande clarté la complexité des approches et des outils disponibles ou à l’étude. Puis, Simon Corneau de l’UQÀM a présenté les premiers résultats de l’enquête Les branchés — dont le rapport sera disponible dans quelques semaines. La recherche, sans surprise, souligne les situations de double contrainte vécues par les enquêtés, entre l’hétérosexisme ressenti dans la communauté d’origine, et l’expérience du racisme dans la communauté gaie. Ce « racisme sexuel » spécifique comprend trois dimensions, non exclusives entre elles : les stéréotypes ethnosexuels, le fétichisme racial et le rejet sur la base de la race.

Dans ce contexte, l’enquête met en lumière les mécanismes de résistance mis en œuvre par les hommes enquêtés, mais aussi les défis spécifiques auxquels ils sont confrontés. Les tensions vécues au sein de la communauté gaie ressortent comme des éléments très préoccupants et néfastes à l’épanouissement, entre objectivation sexuelle et injonction au coming out. La communauté gaie apparait alors souvent comme une utopie, désirable mais pas atteignable en tant qu’espace solidaire. Pour les chercheurs de l’étude, les pistes de solution passent par un travail subtil de visibilités (sans obligation à se dire) et solidarités.

Un seul bémol : parmi les répondants de l’enquête, aucun ne déclare vivre avec le VIH. Une donnée qui reflète en partie la politique d’immigration « choisie » du Canada, mais aussi sans doute un point aveugle de l’étude.

Un temps pour se souvenir

Pour terminer ce retour à trois temps, le 1er décembre avait lieu la traditionnelle vigile dans le Parc de l’espoir, au coeur du village. Lieu de mémoire des disparus, lieu de mémoire des luttes, le parc est chargé de symbole. Une cinquantaine de personne s’y sont retrouvées pour écouter quelques prises de parole, se recueillir et nouer un ruban rouge dans le sapin qui surplombe l’endroit. Une nouveauté cette année ? Les Soeurs de la Perpétuelles indulgence y étaient ! Une petite frustration ? Que le rassemblement ne se transforme pas en marche dans le Village…

Une absence…

Ces différents moments illustrent bien, je trouve la vitalité du mouvement communautaire sur la question du VIH/sida à Montréal. Reste que la faible affluence aux différentes initiatives pose question, et nous invite à interroger certaines formes de mobilisation. Enfin, pour que le bilan soit complet, il faut souligner une absence de poids, dans toutes ces initiatives : les pouvoirs publics (et les politiques de manière générale) ! Lors de la journée du 29, deux représentant-e-s de député-e-s étaient visiblement présent-e-s… mais les autres ? Et Québec solidaire ? Et le ministère de la santé et des services sociaux ? Sans contester la nécessaire autonomie du mouvement communautaire, ce silence des pouvoirs publics est (très) préoccupant.