Cette tribune a été publiée dans Libération à l’occasion du colloque sur la santé des personnes LGBT, tenu les 9 et 10 mars dernier à Paris. Elle est co-signée avec Michael Bochow, France Lert, Gérard Pelé et Manuel Picaud. J’aurai l’occasion de revenir prochainement ici sur les enseignements de ce superbe colloque !

La santé LGBT en débat

« Avez-vous déjà parlé de votre orientation sexuelle à votre médecin ? » La question peut sembler incongrue à de la plupart des hétérosexuels. Elle souligne pourtant une triste réalité pour des dizaines de milliers de lesbiennes, de gays, de bisexuel-le-s et de trans (ce sont les personnes « LGBT »). Car pour beaucoup d’entre eux et elles, le dévoilement de son orientation sexuelle, de son identité de genre dans un cabinet médical reste en effet au mieux un tabou, ou au pire une épreuve (seulement 45% des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes l’ont indiqué à leur médecin selon l’enquête publiée en octobre 2016 par le Centre LGBT de Paris Ile de France). Trop souvent, le patient est présumé hétérosexuel et cisgenre.

Dans les milieux du soin, évoquer ses préférences, ses pratiques, son identité ou ses choix en matière de sexualité et de genre n’a évidemment rien d’évident. Aborder ces dimensions intimes implique du temps et de la confiance mutuelle, deux éléments qui font souvent défaut. Cela nécessite également, de la part des médecins, une certaine capacité d’écoute et une pratique informée des réalités LGBT.

« Mais pourquoi faudrait-il en parler ? ». La raison en est simple : les personnes LGBT, dans leur diversité, présentent des conditions de santé spécifiques, préoccupantes et trop souvent occultées. Ces enjeux sont au cœur du Colloque international qui se tient à Paris les 9 et 10 mars prochain, sur le chemin des Gay Games qui se dérouleront à Paris en 2018.

La santé, un révélateur social

En quelques décennies, les droits des lesbiennes, des gays, des bisexuel-le-s et des trans ont progressé de façon très importante dans nos sociétés. Beaucoup reste encore à faire, tant sur le terrain de l’homoparentalité, de la lutte contre les LGBT-phobies que pour les droits des personnes trans. Le climat d’homophobie décomplexé entretenu par les opposants au mariage pour tous laisse craindre des combats difficiles. Dans ce contexte, les questions de santé restent cependant le parent pauvre des luttes LGBT ainsi que dans les programmes de santé communautaire portés par les acteurs de terrain.

Pourtant, les données disponibles en France et à l’étranger établissent un lien clair entre l’expérience minoritaire LGBT et des vulnérabilités spécifiques en terme de santé. Ces spécificités se retrouvent dans plusieurs domaines :

  • En terme de bien-être et de santé mentale. Les personnes LGBT sont exposées très jeunes à l’injure homophobe ou transphobe, et font pour beaucoup l’expérience du rejet ou des violences, du fait de leur orientation ou de leur identité. Ce cheminement dans des univers hostiles constitue un déterminant fort du mal-être, de la dépression et des idées ou des tentatives de suicide.
  • En terme d’incidence des infections sexuellement transmissibles (IST). Les gays et les trans constituent historiquement deux des groupes de la population parmi les plus touchés par le VIH et les IST. Cette surreprésentation n’est pas seulement attribuable à des comportements plus à risque, elle est le reflet d’une épidémie concentrée, à laquelle ces communautés continuent de payer un lourd tribut.
  • En terme de suivi gynécologique. Pour les lesbiennes et les bisexuelles, l’accès aux soins est structurellement défavorable. Considérées comme asexuelles par beaucoup de soignants – car on présume qu’elles n’ont pas de relations pénétratives – elles ont moins recours aux examens gynécologiques. En découle notamment une surmorbidité et une surmortalité liée à certains cancers, diagnostiqués trop tardivement.
  • En terme de parcours de vie. Les personnes trans vivent des situations complexes et discriminantes, car leur cheminement identitaire les confronte à l’arbitraire de décisions médicales et psychiatriques. De la longueur des procédures de changement d’État Civil à l’obligation de la stérilisation, les parcours de transition sont semés d’embûches et de violences institutionnelles.

On le voit à travers ces quelques exemples, la santé agit comme un révélateur social des situations d’inégalité et d’injustice vécues par les minorités sexuelles et de genre, auxquelles se surajoutent dans bien des cas le racisme, le sexisme et/ou la précarité sociale. L’écart est encore grand entre l’égalité formelle, garantie par la loi, et l’égalité réelle, au quotidien. Améliorer la santé des personnes LGBT est une question fondamentale des droits humains.

Un agenda de recherche sur la santé LGBT

Sur le plan scientifique, alors que d’autres pays comme la Suisse, l’Allemagne ou le Canada développent et financent depuis longtemps des études sur la santé des LGBT, la France est en retrait et en retard. Les explications en sont multiples. Certaines relèvent de blocages idéologiques : en France, l’attention portée aux minorités reste suspecte de « communautarisme ». D’autres explications concernent l’organisation institutionnelle de la recherche. La focalisation des efforts de recherche sur le VIH/sida a longtemps laissé dans l’ombre les réalités vécues par les lesbiennes, les bisexuels et les trans. Ce retard français est également le reflet de la faible structuration des équipes de recherche dans le domaine de la santé LGBT. Les jeunes chercheurs travaillant sur ces enjeux peinent à trouver des postes et des financements pérennes. Et trop peu de laboratoires ou d’équipes s’impliquent dans ces enquêtes. Plus généralement, la recherche sur la santé LGBT souffre d’un déficit de vision stratégique et programmatique de la part des institutions concernées.

L’objectif du colloque des 9 et 10 mars est donc d’ouvrir un espace de dialogue et de réflexions interdisciplinaires sur les différents enjeux de santé LGBT. Ce colloque fait le pari de prises de parole plurielles, issues autant des communautés concernées, que des milieux scientifiques, des professionnels de santé ou des institutions de santé publique. L’ambition, à plus long terme, est de poser les premières pierres d’un champ de recherche et d’initier la structuration de véritables politiques publiques dans le domaine de la santé LGBT.


Signataires : Gabriel Girard, Michael Bochow France Lert, Gérard Pelé (membres du comité scientifique et éthique du colloque sur la santé des personnes LGBT), et Manuel Picaud (président de Paris 2018, association organisatrice des Gay Games).