Cette tribune a été publiée dans Le Devoir du 1er décembre 2012. Elle est co-signée avec Viviane Namaste.

À l’aube de la quatrième décennie du VIH/sida, cette épidémie continue d’agir comme un révélateur des inégalités sociales, entre le Nord et le Sud, mais également au sein des populations touchées. Pour stopper l’épidémie, l’ampleur des défis est immense et nécessite un courage politique encore trop souvent absent.

Près de 34 millions de personnes vivent avec le VIH à l’échelle de la planète. Le rapport annuel de l’ONUSIDA, le programme des Nations unies dédié à la lutte contre le VIH/sida, donne un aperçu documenté de la situation internationale de l’épidémie. Mais, et c’est une bonne nouvelle, la baisse du nombre de nouvelles infections se confirme : 2,5 millions de personnes infectées en 2011, c’est 20 % de moins que 10 ans plus tôt. Ces chiffres relativement encourageants ne doivent pas nous faire perdre de vue l’ampleur des défis auxquels fait face la communauté internationale, particulièrement dans le contexte de crise économique que nous traversons. La réponse sociale et politique à l’épidémie est toujours confrontée à deux enjeux majeurs : l’accès aux soins et la prévention de la transmission.

Épidémie mondiale, le VIH continue de toucher très fortement les populations d’Afrique subsaharienne : 69 % des personnes séropositives vivent dans cette région du monde. Les signes d’espoir existent cependant, et la mobilisation des États à travers le Fond mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a permis de faire des avancées importantes au cours de la décennie écoulée. Avec 1,7 million de décès, la mortalité liée au sida est en baisse de 24 % depuis 2005. On ne peut que se réjouir de l’augmentation du nombre de personnes ayant accès aux traitements antirétroviraux dans les pays à faible revenu. Pour autant, en 2011, sept millions de personnes qui en auraient la nécessité vitale restent sans traitement. La crise économique planétaire ne saurait constituer un argument pour freiner cet effort indispensable : les États doivent continuer à financer à la hauteur des besoins les programmes internationaux de la lutte contre le sida !

Dans le domaine de la prévention de la transmission, le travail qui reste à accomplir est immense et mêle indissociablement la santé publique et les droits de la personne. Car, selon l’ONUSIDA, les nouvelles infections concernent toujours de manière disproportionnée les communautés les plus discriminées. L’épidémie atteint des niveaux records parmi les usagers de drogue, les travailleuses du sexe et les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. L’une des principales leçons des 30 années écoulées, c’est que la reconnaissance sociale des minorités est l’une des conditions incontournables pour la prévention. Et pourtant, dans de trop nombreux pays, la diffusion du préservatif ou l’accès au matériel d’injection sont négligés au nom de principes moraux ou religieux.

Dans beaucoup de régions du monde, les programmes de prévention continuent d’ignorer et de discriminer les personnes gaies, bisexuelles et/ou transgenres. Et ces processus d’exclusion se rejouent parfois de manière inattendue, comme cette année, lors de la conférence mondiale de Washington sur le VIH/sida. Les autorités américaines ont en effet interdit l’accès à leur territoire aux travailleuses du sexe et aux usagers de drogue venant de l’é-tranger, les privant de cet espace de partage indispensable !

À l’aube de la quatrième décennie du VIH/sida, cette épidémie continue d’agir comme un révélateur des inégalités sociales, entre le Nord et le Sud, mais également au sein des populations touchées. Pour stopper l’épidémie, l’ampleur des défis est immense et nécessite un courage politique encore trop souvent absent. Sur ce plan, les décideurs pourraient utilement s’inspirer des combats menés depuis 30 ans par les communautés concernées, au Nord comme au Sud. En s’auto-organisant, en innovant et en tissant des liens de solidarité, les personnes atteintes et affectées ont contribué à changer le monde. C’est assurément un bon exemple pour écrire les prochaines pages de cette histoire.