Après plusieurs mois consacrés à sa mise en place, l’essai de Prophylaxie Pré-Exposition (PPrE) « IPERGAY » a commencé le recrutement de participants à Montréal au début de l’été. Les premiers sites français de l’essai (Lyon et Paris) ont quant à eux ouverts en janvier 2012. Montréal ouvre la voie aux nouveaux sites à Lille, à Nice, à Nantes et bientôt à Berlin.

IPERGAY ?

IPERGAY (pour : Intervention Prévention de l’Exposition au Risque avec et pour les GAYs) s’inscrit dans une évolution plus générale de la prévention du VIH, combinant des approches socio-comportementales et médicales. Ce nouvel horizon s’est ouvert au cours des années 2000, dans le contexte du maintien à un niveau très élevé des infections au sein des communautés gaies. Il s’agit d’un essai de prévention globale, dans lequel la prise d’un traitement anti-VIH (le Truvada, produit par le laboratoire Gilead) « à la demande » est proposée à des gais séronégatifs qui prennent des risques pour le VIH.

Tous les participants bénéficient gratuitement d’un accompagnement préventif de qualité : dépistages très fréquents, conseils préventifs et condoms à disposition. L’essai s’effectue « contre placebo », c’est-à-dire qu’aléatoirement, une partie des participants reçoit le traitement actif et l’autre reçoit une pilule inactive. Ni le participant, ni l’équipe de l’essai ne sait qui prend quoi. Cette approche peut sembler étrange à première vue, mais c’est un standard scientifique (éthiquement validé, en l’occurrence) qui permet d’évaluer la plus-value d’un médicament. D’autre part, dans le cas d’IPERGAY, le bras placebo est le meilleur moyen de ne pas encourager les participants à abandonner complètement le préservatif et/ou leurs autres modes de protection : ne sachant pas dans quel bras on se trouve, la prudence reste de mise (ce que démontrent les essais précédents). Les participants qui deviendraient séropositifs au cours de l’étude seront pris en charge immédiatement. [Plus de détails sur l’état des connaissances concernant la PPrE : le site de Catie]

À la différence des autres essais, qui testaient la PPrE en prise quotidienne, IPERGAY propose aux participants de prendre le traitement au moment de leurs relations sexuelles potentiellement risquées. Ce schéma de prise du traitement apparait intéressant, car les autres essais de PPrE ont démontré que l’observance posait de gros problèmes aux participants, et nuisait grandement à l’efficacité préventive du Truvada. Cette stratégie « à la demande » pourrait s’avérer plus pertinente. C’est ce que nous dira peut-être IPERGAY. [Pour plus de détails sur l’essai, son protocole, les questions de recherches : le site IPERGAY-France, qui sera bientôt complété par un site IPERGAY-Québec].

Des débats, aussi au Québec

C’est peu dire que l’essai suscite la controverse dans les milieux communautaires et dans le monde de la recherche ! Au Québec, la Coalition des Organismes Communautaires Québécois de lutte contre le Sida (COCQ-sida) a pris une position de soutien (critique) à l’essai en janvier dernier. Dans ce texte très argumenté, la Coalition affirme son intention de participer au comité scientifique d’IPERGAY afin « d’assurer un regard communautaire à l’intérieur de l’étude », et de jouer un rôle « d’information et de transfert de connaissances ».

Sur sa page consacrée à Ipergay, la COCQ-sida met en lien les documents présentés lors d’une rencontre communautaire en novembre 2012, et un échantillon des diverses prises de position autour de l’essai. D’autres initiatives de consultation et d’information de la communauté gaie sont prévues dans les prochaines semaines. De son côté, l’organisme RÉZO (impliqué autour de « la santé et du mieux-être des hommes gais et bisexuels ») est opérateur de l’essai, et s’occupe en particulier de sa promotion et du recrutement dans la communauté.

Au Québec, les positions les plus critiques sont celles exprimées par Warning-Montréal et par le groupe PolitiQ-queers solidaire. Dans un texte publié sur leur page d’accueil, PolitiQ proclame même : « n’avalez pas leur pilule ! ». Warning pour sa part l’estime non éthique. De manière explicite, ces deux organisations souhaitent que l’essai s’interrompe, et que les gais intéressés puissent avoir accès dès à présent à la PPrE en prise quotidienne.

Car, et c’est une différence significative avec la situation française, certains médecins québécois (principalement montréalais) prescrivent déjà le Truvada en prévention à quelques gais séronégatifs particulièrement exposés au risque. Si, comme en Europe, le Truvada n’est pas homologué comme outil de prévention au Canada, il est possible de le prescrire « hors indication » : c’est-à-dire que l’Assurance Maladie ne vérifie pas si les patients qui reçoivent le médicament sont séropositifs ou séronégatifs. Ces prescriptions « hors indication » sont, depuis le mois de juillet, encadrées par un Avis intérimaire du Ministère de la Santé et des Services Sociaux. Selon cet avis, en l’absence de consensus parmi les experts, la prescription de PPrE doit rester exceptionnelle, limitée aux gais, et ne s’inscrit pas pour le moment dans le « panier de service existant ».

Dans ce contexte, au Québec, deux offres cohabitent : PPrE continue et PPrE à la demande (dans le cadre d’IPERGAY). Cette situation permet de répondre à la diversité des besoins des gais, et d’offrir une réponse à des situations d’urgence. Reste que l’information sur ces différentes options fait (pour le moment) défaut…

Cela étant, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire avec d’autres, les enjeux de la PPrE sont multiples, et non réductibles à une stricte question « d’efficacité ». À la différence de la France, au Québec, le débat communautaire (plus feutré) est surtout polarisé entre les promoteurs de l’essai et les tenants d’un accès immédiat à la PPrE. Les critiques plus globales de la médicalisation de la prévention ne se font donc pas entendre, du moins pas dans l’espace public. Je reviendrai prochainement plus en détail sur les positions des différents acteurs québécois sur le sujet !

À qui s’adresser ?

Pour entrer en contact avec l’équipe d’IPERGAY à Montréal, et éventuellement rentrer dans l’essai, deux options :

  • pascale.arlotto.chum@ssss.gouv.qc.ca / 514-890-8000, ext : 15195
  • info@ipergaymtl.com / 514-714-8176

Se positionner

Comme je l’ai déjà expliqué, je suis membre du conseil scientifique de l’essai, plus particulièrement chargé de la partie qualitative au sein de l’équipe « sciences sociales » de l’essai.

Pour être très clair, je ne suis pas rémunéré par l’essai, d’aucune manière. Mon contrat post-doctoral ne porte pas sur IPERGAY. Si l’essai s’arrête, pour une raison ou pour une autre, cela ne changera pas mes conditions matérielles d’existence.

J’y participe, en tant que sociologue car je pense que, dans l’état actuel des connaissances, l’essai est utile et éthique. D’un point de vue plus personnel — en tant que gai, séronégatif et militant de la lutte contre le sida — j’estime qu’IPERGAY offre une opportunité inédite de transformer substantiellement l’approche de la santé sexuelle, en proposant et en évaluant une combinaison concrète des méthodes de prévention. Et ce indépendamment des résultats de l’essai concernant l’efficacité de la prise intermittente du Truvada.