La conférence de reconstitution des ressources du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a lieu vendredi et samedi à Montréal. Reprise d’une tribune publiée dans le journal en ligne Ricochet avec mon collègue et ami Pierre-Marie David, sociologue, chargé de cours à l’Université de Montréal.

S’il faut se mobiliser socialement et financièrement aujourd’hui, ce n’est pas seulement parce que le VIH/sida peut disparaitre un jour, mais bien parce qu’il est là, qu’il sera là encore pour longtemps.

En finir pour de bon ?

Le Canada accueille à Montréal la 5e conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. On ne peut que s’en féliciter, tant l’image du Canada a été écornée, marquée et déformée par des positions équivoques du gouvernement conservateur de Stephen Harper. On se souviendra notamment de l’attitude sans précédent du premier ministre du Canada qui refusait il y a tout juste trois ans de s’adresser à l’Assemblée générale des Nations Unies, et marquait ainsi son mépris pour le débat démocratique international.

S’il faut se féliciter de la tenue de cette conférence à Montréal visant à réunir les fonds nécessaires à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, il faut cependant maintenir une vigilance critique vis-à-vis des justifications et des arguments qui sous-tendent la mobilisation sociale et financière des grands de ce monde. Car le slogan «En finir pour de bon» est porteur d’une ambigüité qui mérite d’être interrogée. À défaut, les mêmes discours et les mêmes pratiques inopérantes risquent de se reproduire dans le domaine de la santé publique internationale.

Dans le cas du VIH, «En finir pour de bon» traduit une opportunité inédite de limiter les nouvelles infections. Des modèles théoriques montrent ainsi que si l’on dépiste 90% des gens infectés, que 90% d’entre eux prennent un traitement antirétroviral et que 90% des personnes traitées ont une charge virale indétectable, on pourrait «aider à mettre fin à l’épidémie» à l’horizon de quelques décennies. Prévention, dépistage et traitements se combinent alors dans un même effort de réduction des risques d’infection. Le traitement devient même un outil de prévention à part entière. Mais «en finir pour de bon» traduit une impatience qui pourrait se révéler contre-productive. La stratégie de «traitement comme prévention» dont l’efficacité est éprouvée se heurte à une cruelle réalité : des millions de personnes dans le monde n’ont toujours pas accès aux traitements «comme traitement».

Des régions oubliées ?

En 2016, l’ONG Médecins Sans Frontière a publié un rapport intitulé «Le prix de l’oubli» qui met l’accent sur les «millions de personnes qui restent à la marge de la lutte mondiale contre le VIH». Dans des pays tels que la République centrafricaine et la République démocratique du Congo, il apparait que le sida «ne disparaitra pas tant que des mesures radicales ne seront pas prises pour accroitre l’accès au traitement antirétroviral, et cela avant que les gens ne deviennent très malades». Dans ces deux pays, en conflit armé depuis les années 1990, l’épidémie de VIH/sida est encastrée dans des inégalités socio-économiques inacceptables. Autant d’indices qui nous rappellent que la réponse aux épidémies est tout autant politique (locale et internationale) que technique et financière.

À l’heure des slogans mobilisateurs comme «En finir pour de bon», ces enjeux sociopolitiques sont trop souvent marginalisés ou exclus de la réflexion collective. Dans ces conditions, l’espérance d’un «monde sans sida» – autre slogan mobilisateur – risque malheureusement de rester lettre morte pour des millions d’individus. Il faut bien se garder de l’exclure du débat public cette part de la réalité des épidémies mondiales.

Des réalités gommées : ruptures de stock et résistances

L’accès aux traitements antirétroviraux est un enjeu de premier ordre, notamment au Sud. Mais même lorsque le traitement est disponible, les patients et les acteurs du soin sont confrontés à un autre problème majeur : celui des ruptures de stock. Cette réalité, rarement évoquée, affecte particulièrement le continent africain.

La conséquence de ces pénuries est le développement possible de résistances biologiques aux traitements au niveau populationnel. Au niveau individuel, c’est la double peine : vivre dans l’incertitude pour plusieurs jours ou semaines, et savoir que cette absence de traitement est préjudiciable à la santé et au bien-être. Pour les malades, ces ruptures de stock matérialisent l’oubli d’une promesse faite par le traitement. Le slogan du «Traitement pour tous» lors d’une précédente conférence canadienne, en 1996 à Vancouver, a beaucoup fait avancer les choses pour le traitement, mais son universalité apparait encore comme un horizon lointain faisant écho à ce slogan datant de la fin des années 1970, et qu’on retrouve sur des affiches jaunies de certains centres de santé en Afrique : «la santé pour tous en l’an 2000». Pour les malades et leurs proches en Afrique, les engagements médiatiques autour de «la fin du sida» ne peuvent être accueillis qu’avec une certaine ambivalence oscillant entre enthousiasme et scepticisme.

Pourquoi faut-il se mobiliser ?

S’il faut se mobiliser socialement et financièrement aujourd’hui, ce n’est pas seulement parce que le VIH/sida peut disparaitre un jour, mais bien parce qu’il est là, qu’il sera là encore pour longtemps et que son traitement implique plus que l’achat ponctuel de caisses de médicaments. Comme le montre l’expérience des autres maladies auxquelles s’adresse le Fonds (tuberculose et paludisme), la prise en charge des épidémies implique de soutenir les systèmes de santé fragilisés par les crises et les conflits, en impliquant bien sûr les structures biomédicales, mais aussi les communautés locales, qui demeurent les principales concernées lorsque les slogans seront passés.