En ce moment, je cherche du travail. Et mon plus grand défi, c’est de faire comprendre mon Curriculum Vitae à des employeurs potentiels… Je m’explique. Je suis titulaire d’un doctorat en sociologie, et j’ai par la suite enchainé des contrats postdoctoraux. Cela fait donc plus de 10 ans que je travaille dans le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur. Les deux phrases précédentes donnent des maux de tête à la plupart de mes interlocuteurs…

Doctorat

En effet, pour la plupart des gens hors milieu universitaire (ça fait beaucoup !), le doctorat apparait comme un diplôme un peu abstrait. Un diplôme d’excellence certes, mais surtout un titre flou, au sens où ça ne dit pas grand-chose de ce que je sais faire (ou pas). Mon objectif ici, c’est de rendre ce parcours un peu plus concret !

Commençons par la fin, ou le début, enfin le dernier diplôme que j’ai obtenu. Je suis “docteur en sociologie”, ce qui ne veut pas dire grand-chose en dehors du milieu des sciences sociales. En fait si : cela valide 8 années d’études universitaires, la rédaction d’une thèse et la connaissance approfondie d’un “sujet” ou d’un “problème”. Dans mon cas, c’est la prévention du VIH chez les homosexuels masculins.

Dire qu’on est docteur suscite des réactions diverses, de la surprise à l’admiration, en passant par l’incompréhension . “À quoi bon faire autant d’années d’étude (si c’est pour ne pas avoir d’emploi à l’université) ?” semblent penser plusieurs de mes interlocuteurs. Plutôt que de mettre en avant le diplôme, on pourrait s’intéresser aux compétences qui y sont associées.

Et compétences il y a ! Le doctorat ne se résume pas à la construction d’un savoir théorique. Il s’agit tout autant d’un apprentissage de savoir-faire et de savoir-être. Quelques exemples de ces savoir-faire ? Au cours de ma thèse, j’ai conduit une enquête de terrain (rigueur), mais j’ai aussi participé à différents autres projets de recherche (polyvalence). J’ai passé beaucoup de temps à écrire : la thèse elle-même, des articles scientifiques, mais aussi des billets de blogues et des articles de vulgarisation scientifique (capacité derédaction + à s’adresser à différents publics). Mais le doctorat a aussi été l’apprentissage plus systématique de la prise de parole en public, de l’animation de réunion de travail, de l’organisation d’évènements professionnels (que dans le jargon académique, on appelle “journées scientifiques”, “colloques” ou “ateliers” !).

Du côté des savoir-être, je mettrais volontiers en avant les compétences acquises en travail d’équipe, souvent dans des contextes pluridisciplinaires. Autrement dit, apprendre à travailler avec d’autres, malgré les différences de statut et de regards. Mener à bien un projet de recherche exige une grande capacité à se remettre en question — en sociologie, on parle de réflexivité.Mais le parcours doctoral c’est aussi (et surtout, en fait), une expérience de ténacité (savoir s’adapter aux contraintes), d’autonomie et de résilience.

Alors, oui, le doctorat constitue, au premier abord, un travail scientifique approfondi, sur une question parfois très précise. Mais c’est surtout l’apprentissage d’une manière de travailler, seul et avec les autres !

Postdoctorat

OK, très bien. Mais alors à quoi servent les contrats postdoctoraux ? Officiellement, le postdoctorat est un passage presque obligé pour compléter sa formation, et idéalement avoir une expérience de recherche à l’étranger. Officiellement… Car en pratique, les contrats (ou stages) postdoctoraux ont un double usage :

  • Maintenir une “armée de réserve” de chercheurs (jeunes ou moins jeunes), formés, actifs et très productifs en termes de publications.
  • Servir de “sas”, ou de salle d’attente entre la fin du doctorat et un hypothétique poste universitaire.

À ce stade de mon texte, je me dois de préciser un point : le parcours doctoral est entouré d’un discours très vague, mais très mobilisateur, sur la possibilité d’un poste à l’Université. C’est un facteur de motivation indéniable ! Mais aussi une source de désillusion redoutable… Car la compétition est rude et les postes sont rares.

Reprenons. Si le postdoc ne mène pas nécessairement à l’Université, il est tout de même un moment particulièrement constructif professionnellement. Généralement (c’est mon cas), c’est l’occasion de se frotter à un nouvel environnement professionnel, à de nouveaux collègues et de développer d’autres compétences. Pour ma part, cela a correspondu avec la découverte d’un nouveau pays (le Québec), avec tous les défis que ça comporte !

En termes de compétences , cela m’a permis d’exercer des fonctions d’enseignement, mais aussi de mentorat, avec l’encadrement de travaux d’étudiant.e.s. Recréer un réseau professionnel quand on arrive de l’étranger demande de mettre en action ses qualités relationnelles, sa capacité de réseautage, mais aussi de réussir à “traduire” ses expériences passées en termes compréhensibles (adaptation culturelle)!

Le bilan de mes contrats postdoctoraux ? Des publications, beaucoup et de toutes sortes ; des projets de recherche passionnants ; la construction d’un réseau de chercheurs en sciences sociales sur la santé ; une belle expérience d’enseignement. Mais aussi la découverte d’un nouveau milieu de travail, la remise en question de quelques certitudes et la satisfaction de me sentir maintenant à l’aise au Québec, sans avoir coupé les liens avec la France ! Bref, une expérience remuante, mais très enrichissante.

10 ans d’expérience

Je vais terminer avec cet aspect, qui est sans doute le moins évident à appréhender lorsqu’on lit mon CV. “Dix ans d’expérience dans la recherche et l’enseignement supérieur !”. Pour certains, cela signifie des études trop longues, voire une déconnexion totale avec le “vrai” monde du travail.

Et pourtant, le doctorat constitue dès le départ une expérience professionnelle très complète. Comme j’ai essayé de le montrer depuis le début de ce texte, on y apprend à analyser, à évaluer, à produire du savoir utile, mais aussi à travailler en équipe, à transmettre des connaissances et à s’adresser à des publics très variés.

Les dix dernières années de ma vie ne se résument pas à un entre-soi universitaire coupé du monde. Au contraire, j’y ai développé des liens de travail étroits avec des organismes communautaires, des soignants, des chercheurs, des décideurs ou des journalistes. En fait, la thèse (comme produit fini) a constitué une étape (ô combien symbolique !) de ce parcours professionnel. Une étape mais pas une fin en soi : c’est cela que l’on peut lire dans mon CV !