À l’occasion du 1er décembre, voici la tribune co-signée avec Sébastien Barraud, de Warning, et publiée conjointement dans le magazine Fugues et dans le journal Ricochet. Bonne lecture !

La sortie publique de Charlie Sheen a le mérite de mettre le projecteur sur un problème structurel : la persistance de la sérophobie dans nos sociétés.

« Je suis séropositif au VIH ». Ces quelques mots de Charlie Sheen, le 17 novembre dernier, ont suscité une onde de choc médiatique comme on n’en avait pas connue depuis les années 1990 et la sortie de Magic Johnson. Dans une certaine mesure, la situation est singulière : personnalité publique, l’acteur a été victime de chantage au sujet de la révélation de son statut sérologique. Et les sommes en jeu sont faramineuses.

Mais les réactions à ce dévoilement sont aussi porteuses de leçons plus générales. Au premier rang desquelles, le décalage croissant entre la réalité sociale et médicale de l’épidémie, et les représentations mortifères et moralistes qu’elle continue de véhiculer.

« Je suis séropositif ». La phrase continue de susciter, même après près de 35 ans, la curiosité la plus malsaine. « Mais comment l’est-il devenu ? » : voilà la question que (se) posent la plupart des journalistes, faisant écho à une partie de l’opinion. Comme si comprendre l’origine de l’infection permettait d’y donner un sens. On sait surtout ce que cette question véhicule de jugement moral sur la vie sexuelle et affective, la consommation de drogues ou les fréquentations des personnes concernées. La multiplication des articles sur la vie « dissolue » de Sheen en apporte une fois de plus la preuve. Demande-t-on à une personnalité publique malade du cancer de justifier son mode de vie ? Pour le VIH comme pour les autres pathologies, l’empathie et la solidarité devraient l’emporter sur la mise à l’index.

« Je suis séropositif ». Le dévoilement du statut sérologique, publiquement ou dans l’intimité, déclenche encore trop souvent la machine à angoisse : « Je risque d’être moi aussi infecté » se disent certains partenaires sexuels des personnes vivant avec le VIH (PVVIH). On sait pourtant aujourd’hui que pour les PVVIH qui suivent un traitement antirétroviral efficace, dont la charge virale est « indétectable », le risque de transmission est nul. Elles ne sont plus contaminantes. La prévention chimique est aussi efficace que le préservatif. Cette vérité scientifique doit impérativement sortir des cercles de spécialistes. Car elle change radicalement et objectivement la donne en termes de santé sexuelle, de prévention et de risque épidémiologique.

« Je suis séropositif ». On a parfois l’impression que pour beaucoup, la compréhension du VIH/sida s’est figée, quelque part dans les années 1990. Dans nombres d’esprits, cette affirmation sonne comme une sentence de mort. Les progrès médicaux réalisés au cours des 20 dernières années sont pourtant majeurs. Grâce aux traitements, une personnes infectée récemment a la même espérance de vie qu’une personne séronégative. Le vrai enjeu réside aujourd’hui dans le dépistage et l’accès aux soins : au Canada, près du quart des PVVIH ignorent encore leur statut. Et il ne s’agit pas ici de blâmer les individus : il est de la responsabilité des pouvoirs publics de continuer à informer et de rendre le dépistage accessible, notamment en développant et en autorisant le dépistage communautaire anonyme et gratuit, et la vente libre des autotests à prix modique.

« Je suis séropositif ». La phrase évoque malheureusement toujours une réalité pénale. Dans ce domaine, le Canada occupe une place peu enviable de chef de file international de la criminalisation des PVVIH. La justice condamne en effet la « non-divulgation » du statut sérologique aux partenaires sexuels, indépendamment des modes de prévention utilisés. Cet état de fait renforce la stigmatisation des séropositifs, il complique encore plus le dévoilement du statut dans la sphère intime, et il décourage le dépistage. En l’espèce, la loi contrevient aux impératifs de la santé publique. La changer est une nécessité absolue.

La sortie publique de Charlie Sheen a le mérite de mettre le projecteur sur un problème structurel : la persistance de la sérophobie dans nos sociétés. Ce néologisme recouvre l’ensemble des attitudes, des propos et des actes de rejet et de dénigrement des PVVIH. Une chose est certaine : la sérophobie se nourrit de l’ignorance et des préjugés encore trop nombreux, décrits précédemment.

Le 1er décembre, journée mondiale contre le VIH/sida est la bonne occasion pour faire passer le message : il est urgent de changer de regard sur ce virus ! Le changement doit s’opérer dans le traitement médiatique, mais aussi en terme de volonté politique. Car l’information, la sensibilisation et l’accessibilité des services sont actuellement les premières victimes de l’austérité budgétaire.

Sébastien Barraud, syndicaliste, président de Warning (Paris, Montréal) : Prévention du VIH et santé communautaire (www.thewarning.info)

Gabriel Girard, sociologue, post-doctorant à l’Institut de recherche en santé publique de l’UdeM (www.gabriel-girard.net)